Notre confrère Lyon Figaro a titré : « La dernière folie d'Ehrmann ».
Les plus gentils vous prennent pour un illuminé, les autres vous traitent
de fou. Etes-vous sous analyse ?
Je revendique pleinement ma folie
sociale et juridique. Je vous rappellerai que l'art brut est la rencontre
avec la folie. André Breton, le surréaliste, alors étudiant en médecine en
1916, est confronté à la folie. Il retient l'importance des mots écrits ou
dits par les fous ainsi que la beauté de leur pensée. Le pouvoir de
création de la folie, le rêve, l'association d'idées incontrôlées,
constituent le départ du matériel surréaliste.
Comment définiriez-vous votre projet artistique ?
La Demeure du Chaos a un caractère dual.
On nommera Demeure du chaos la partie visible, la réalité tangible, le
sensible et L'esprit de la salamandre le contenu implicite, ésotérique,
l'intelligible. L'uvre fonctionne en deux temps. Malgré son aspect très
riche et dense, celle-ci est avant tout conceptuelle ou pour reprendre le
titre de la célèbre exposition de 1969 qui a vu le mouvement naître Quand
les attitudes deviennent formes. Ce qui est conceptuel dans ce projet
c'est le dépôt dès 1999 de l'uvre. Avant même sa réalisation, l'uvre
existait. Le postulat de départ étant de transformer un domaine bourgeois
en uvre, ou comment révéler les failles inhérentes au système.
L'ensemble de l'uvre se situerait plus
dès lors dans l'idée d'une Gesamtkunstwerk, uvre d'art totale, où de la
fusion organique des styles et des gestes artistiques doit renaître une
expression dramatique. L'uvre d'art totale est bien cette manifestation
d'une utopie marquée par le rêve de totalité. La déconstruction du
bâtiment est rendue possible ici par l'ex-position de peintures et autres
installations.
Mais pourquoi une telle provocation où vous reprenez même des propos
virulents de vos adversaires dans vos communications ? L'horreur vous
fascine-t-elle autant ?
L'aspect provocateur ne réside pas en soi dans les peintures, mais plutôt
dans la transformation même du lieu. Cette partie de l'uvre est comme on
l'a vue très riche, et l'évocation de la violence au travers de la
thématique du chaos est infinie. L'horreur réside t-elle dans les scènes
contemplées ou dans le regard du spectateur ? L'uvre est en soi un
condensé de l'art du XXe siècle, elle évoque de nombreux courants (land
art, déconstructivisme...) et repose de manière évidente les questions
inhérentes de l'art (représentation, interprétation, définition du
beau...). Mais elle se veut également être le miroir du monde, pour en
devenir une utopie organique.
Vous appelez de vos vux le règne du chaos. La seconde grille de
lecture de votre uvre est-elle un manifeste révolutionnaire ?
Adepte de Proudhon et de Bakounine, je prône la théorie du chaos (il faut
relire James Gleick). La théorie du chaos bouleverse la vision classique
du monde et constitue une révolution comparable à ce que fût au début du
20è siècle la théorie de la relativité d'Einstein. Cette nouvelle science
nous donne une approche révolutionnaire sur notre monde et nous prépare à
ce 21è siècle où " le chaos déterministe" sera le maître absolu, véritable
métaphore du Divin si ce n'est Dieu en personne .
En relatant sa visite, Nelly Gabriel a évoqué « la demeure d'un
illuminé ». Votre démarche artistique semble échapper au plus grand monde...
Frustrant, non ?
Nelly Gabriel dans Lyon Figaro, en
évoquant " La Demeure d'un illuminé " me comble de jouissance. Voir la
lumière à travers la voie sèche de l'illumination est un privilège.
Concernant les vociférations et autres manifestations de l'esprit de mes
contradicteurs, je les renvoie à la citation de Buren : Ceux qui
vomissent mon uvre sont les petits enfants de ceux qui crachaient sur
Renoir, nous ajoutons Ceux qui vocifèrent sur notre uvre, sont
les enfants de ceux qui vomissaient sur Buren.
Suite de l'interview
|