Vous avez annoncé que votre jeune frère Thierry allait vous succéder à la tête de l'entreprise. On dit souvent que la première génération construit, la seconde développe et la troisième détruit. A quelle échéance avez-vous programmé cette succession ?

Alors je n'ai pas programmé d'échéance. On verra tranquillement ensemble. Ce que j'ai décidé c'est de laisser un peu de place à une gestion plus jeune, car l'intérêt avec Thierry c'est que ce n'est pas la troisième génération, c'est la deuxième et demi.

La troisième est aussi dans l'entreprise...

Thierry est mon frère, pas mon fils ! On a quatorze ans d'écart, donc l'intérêt c'est d'avoir du sang neuf, mais déjà toute la maturité de l'adulte. Je vais lui laisser chaque jour davantage de la gestion du quotidien en conservant la présidence et le maintien du cap de l'entreprise.

Jusqu'à quand ?

On verra. Je suis un cœur jeune il est vrai. J'ai 57 ans, je me sens encore en pleine possession de mes moyens.(rires) Pour un président de la république on estime que 70 ans c'est l'âge, c'est un bon âge, certains estiment que c'est encore jeune. Donc moi j'estime avoir encore de la place, on va voir.

Certains pensent que Thierry aura un rôle de régent le temps de préparer votre fille Annabelle à la succession. Dans ce cas, si elle prenait la suite, Christian, comment comptez-vous la préparer pour qu'elle déjoue cette fameuse malédiction de la troisième génération ?

C'est intéressant mais il n'y a pas une seule ligne de juste là-dedans. (rires communs de Christian et Thierry) Il n'y a pas un seul morceau de phrase intelligent. C'est tout simple, tout est faux. Thierry n'est certainement pas un régent, c'est certainement un gérant. Moi je suis certainement un gestionnaire, à l'heure où vous publiez il aura certainement été nommé directeur général par le conseil d'administration. Point. Quand j'ai pris la présidence en 1983, un journaliste m'a dit : « qu'est ce que vous faites pour votre succession ? » Et à l'époque j'avais 30 ans...

Ma question est moins décalée que celle de mon confrère il y a 20 ans !

Et bien à peine parce que Thierry a 40 ans à peine passés, donc parler de sa succession aujourd'hui me parait complètement décalé. En revanche, c'est vrai qu'Annabelle travaille dans l'entreprise, et que j'en suis très heureux, mais ce n'est pas moi qui l'ai fait rentrer. Mes enfants savent très bien que s'ils ont envie de travailler dans l'entreprise, et bien il faut qu'ils postulent et si ils postulent ce n'est jamais moi qui déciderai parce que je ne peux pas être juge et partie. Je veux pouvoir avoir de l'affection et de l'amour pour mes enfants, mais je ne veux pas avoir une attitude de patron vis-à-vis d'eux.

Si ils veulent un rendez-vous, ils passent par la secrétaire ?

Et si ils veulent un rendez-vous quand ils travaillent dans l'entreprise, ils passent par la secrétaire, c'est le meilleur système. Mais pas en tant qu'enfant, en tant que salarié. Justement pour préserver cette relation.

Je maintiens que ma dernière question reste d'actualité. Si Annabelle prenait la suite, comment allez-vous la former pour éviter qu'elle soit cette fameuse troisième génération ?

Au niveau d'une troisième génération éventuelle, Thierry, moi et la famille aurons beaucoup de possibilités puisque nous avons beaucoup de représentants potentiels et Annabelle n'est pas la seule. Je réponds à votre question, cependant. La seule façon de préparer l'avenir au niveau d'une famille ou au niveau d'une entreprise c'est de bien vivre son présent. Je crois que l'avenir est contenu dans notre présent donc si nous vivons bien notre présent, nous nous préparons au bon avenir et si au contraire nous sommes centrés sur la préparation de l'avenir, nous risquons de ne pas bien vivre notre présent.  Trois mois avant de faire venir Thierry en France, je ne savais pas encore que j'allais lui dire de venir. Donc je ne peux pas savoir ce dont demain sera fait. Ce qui me frappe avec Thierry c'est qu'on est effectivement d'accord sur à peu près 95% des décisions qu'on prend parce qu'on a une culture commune issue d'une tradition de communication et de partage.

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