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Les humeurs de Toussaint Pothin 

 

Le bloc-net du lundi 25 juin 2001

 

Je vous avais dit craindre le pire de la programmation des "Nuits de Fourvière". A l'exception toutefois de Béjart qui, depuis 40 ans, étonne, surprend, dérange, épate.

 

Je dois faire amende honorable. Je m'étais trompé. Béjart a été en dessous de tout, et le reste ne peut être que meilleur. Cette "première mondiale" ressemblait davantage à un spectacle de commande pitoyable et méprisant. Méprisant pour les spectateurs comme pour les commanditaires.

 

La vieillesse est un naufrage mais excuse-t-elle ce laborieux travail de mémoire à la fois mégalomaniaque, tellement égocentrique, tellement démago, tellement humiliant ?

 

Si vous ne l'avez pas vu et que vous aimez la danse - et si vous aimez Béjart - surtout n'y allez pas. C'est affreusement ringard ; et même si les spectateurs du Théâtre Romain se dressent comme un seul homme pour ovationner debout l'illustre maître, comme on le fait dans les émissions de Drucker et Dechavanne quand l'invité est prestigieux, même lorsque sa prestation a été nulle. La culture de masse a des côtés pervers totalement insupportables. On trouve les mêmes qui courent les expos à la mode dans nos musées bondés.

 

Bon, allez, vous ne me croyez pas, je vous raconte la soirée : le spectacle est d'abord dans les gradins. Le menu peuple - celui qui paie - se tasse sur les deux ailes du théâtre une heure avant le spectacle pour être sûr d'avoir de la place. Puis arrivent du Village nos élus, nos élites, nos notables et les pique-assiettes patentés. Parmi les premiers installés, on reconnaissait ce pauvre Monsieur de La Gorce, bien seul. Il quittera le Secrétariat Général de la Mairie dans quelques jours et, vu les propos que l'on tient sur lui à droite comme à gauche, il ne devrait pas y avoir grand monde à son pot de départ. Un peu plus tard, on vit arriver Noir et Madame (il est bien pâle et a pris un coup de vieux) dans l'indifférence générale. A côté de moi, dans les gradins payants, une dame se demandait avec quels revenus il vivait aujourd'hui. Ne comptez pas sur moi pour vous donner la réponse.

Puis le gros de la troupe arriva en rangs serrés : Guy Darmet, Haffner, Jean Matagrin, Fernand Galula, Catherine Rolland et quelques autres qui me pardonneront de les avoir déjà oubliés. Il y avait tellement de monde que pour un peu, Michel Mercier (tout sourire) n'avait plus de place. Alors que la presse (bravo à l'attaché de presse qui a fait mousser l'événement - sic - ) nous avait fait croire à la venue de Bernadette Chirac, Gérard Depardieu et autre Farah Diba, on a dû se contenter de notre jet-set lyonnaise. Ça tombait bien car la "Première mondiale" aura du mal à s'exporter. Tout est fait pour flatter l'ego des Lyonnais. Tous les symboles et clichés de la "lyonnitude" y sont passés. Il ne manquait que le flamboyant Bocuse, le lumineux Abbé Pierre et Ampère (because lumière = électricité). 

 

Le ballet commence par l'arrivée de fantômes venus à la fois d'un obscur néant et de réminiscences de vieux spectacles de Momix pour se transformer en plateau TV où on tournerait une émission de Maritie et Gilbert Carpentier avec les ballets de Dirk Sanders. Le tout ponctué des discours besogneux et néanmoins pédants d'un vieux monsieur en noir qui se prend pour le grand Béjart, et de chansons de Jacques Brel et Barbara qui doivent se retourner dans leurs tombes respectives. Ça marche (surtout la nuit) avec pour décor la nuit étoilé. J'avais déjà vu un truc dans le genre au cours d'une croisière Paquet. La fin est odieuse de démagogie. Tellement attendue. Tellement convenue. Vous avez deviné, quoi ! La chanson de Barbara, "Ma plus belle histoire d'amour, c'est vous", qui passe et repasse en boucle et s'adresse au public pendant que Béjart surenchérit : "Non Barbara, tu es toujours vivante, tu n'as ici que des amis, des gens qui t'aiment", quémandant pitoyablement l'ovation qui finit par venir.

 

Auparavant, Béjart, dans une ode à la jeunesse, aura souhaité "plus de danse" et la transmission du "gai-savoir" (je ne vous garantis pas l'orthographe) à un petit prince évanescent.

 

Le seul moment réjouissant de cette première, ce fut le malaise d'un spectateur, alors que Barbara chantait "l'homme en habit rouge". Des danseurs vêtus de rouge (vous l'aviez deviné) couraient dans tous les sens. Dans le même temps, on pouvait voir dans "l'obscurité lumineuse" (on dirait du Béjart) le personnel des services de secours, tout de rouge vêtu, se précipiter au secours du malheureux spectateur qui, lui non plus, n'en pouvait plus. 

 

Ça avait un petit côté "Alerte à Malibu" du plus bel effet. Il ne manquait que la belle Pamela pour égayer ce spectacle dans lequel elle n'aurait pas dépareillé.

 

Bref, vous l'aurez compris, je n'ai pas aimé. Habituellement, quand je sors trempé d'un spectacle (même raté) de Fourvière, je dis qu'il a beaucoup plu ; cette fois-ci - le temps étant pour une fois clément - j'ai quitté les lieux en m'exclamant : "Il a beaucoup déplu".

 

Le talent de Béjart, jadis éblouissant, est désormais en veilleuse. Le maître est devenu un vieux monsieur empâté, déambulant sur ses talonnettes et pérorant sur scène des textes pompeux au risque de passer pour un vieux pédant fatigué.

Quand on sait qu'il nous reste à voir Laurent Gerra et Obispo, on finirait par regretter Jean-Paul Lucet qui, d'après ce qu'on raconte, préparerait activement (entre deux procès à la Ville) une comédie musicale avec Victor Bosch (Notre Dame de Paris) consacrée au Petit Prince. Encore lui ! Pourquoi ne pas faire la Première sur les pistes de l'Aéroport Saint-Exupéry déserté par la ligne Lyon-New York ?

 

Gérard Collomb et les élus de gauche, malins, avaient déserté le théâtre pour l'Astrobale. Malheureusement, Gégé, la mascotte de l'OL, n'a pas eu la main verte, et l'Asvel s'est fait rétamer. Décidément, il devait y avoir des ondes négatives sur le Grand Lyon ce soir-là.

 

La semaine prochaine, "Barbier de Séville" (je crains le pire) et début du Festival de Vienne avec Nougaro (j'en espère beaucoup). Je vous raconterai.

 

Cette semaine encore, débute la Biennale de la Danse sur plusieurs lieux et non pas, comme l'année dernière, à la Halle Tony Garnier où la scénographie de l'expo avait été catastrophique. 

 

J'ai comme l'impression, à première vue, que ça risque d'être mieux cette fois-ci. Je dis ça, mais faut voir, je ne voudrais pas qu'on m'accuse de connivence

 

 

A suivre, Le bloc-net du 18 juin 2001

 

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