Bruno Gaccio :
« ! Je suis l'homme le plus libre de France »
Photo © Didier Pruvot - Editions Flamarion
Par Ludovic Vilain
Libre d'arriver avec une heure de retard à
notre rendez-vous, libre aussi de refuser de répondre à la plupart de nos
questions, libre enfin de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas.
Enfin ça c'est ce qu'il croit...
Stéphanois de naissance et depuis peu administrateur de l'ASSE,
Monsieur Gaccio n'est pas un personnage facile d'accès. Notre entretien ayant
lieu quelques jours après le derby qui a opposé l'Olympique Lyonnais à l'équipe
des Verts, j'engage la conversation sur le ton de l'humour, un brin taquin: « Bruno,
une réaction sur ce match ? » Et lui de répliquer en contre-attaque : « Non,
je n'ai rien à dire. Pour moi, Lyon n'existe pas, ça ne m'intéresse pas d'en
parler! » La grosse tuile, voilà qu'en voulant détendre l'atmosphère en
parlant foot je braque le bonhomme d'entrée de jeu. J'enchaîne donc rapidos en
expliquant le pourquoi du comment de notre entretien. Et là, deuxième boulette:
« Quoi, tu veux faire un portrait ? Mais j'en ai déjà fait un pour Libé la
semaine dernière, t'as qu'à le recopier et puis c'est tout. Si mon attachée de
presse m'avait prévenue, je n'aurais pas fait l'interview. » En effet, me
dis-je, l'attachée de presse en question, elle est quand même payée pour ça !
Mais elle a sans doute tellement de travail qu'elle n'a pas eu le temps de lui
en parler. Même si au passage, Bruno me raconte qu'il a dîné chez elle hier soir
et que son mari leur a fait des coquilles Saint-Jacques au safran. Il en a de la
chance Monsieur Gaccio, moi hier soir je me suis fait un Bolino devant
Navarro.
N'empêche c'est vrai qu'il s'en sort plutôt bien le petit
gars de St Etienne. A 45 ans, cet autodidacte pur jus affiche une trajectoire
sans faute, et des opportunités comme on n'en fait plus. Les mères de ses trois
enfants y sont peut-être pour quelque chose. D'abord Michèle Bernier, la
fille du Professeur Choron puis Agnès Michaux, écrivain et
ex-chroniqueuse de Canal +. Avec elle, Gaccio s'embourgeoise au point de
loger dans l'ancien appartement de Marguerite Duras à St Germain des
Prés. Je l'ai lu dans Libé. Aujourd'hui, par contre, c'est no comment. Sa
dernière relation en date il l'a eue avec Philippe Bilger, co-auteur de son
bouquin, Le Guignol et le Magistrat. Ils ont passé 25 heures ensembles
pour accoucher de 353 pages sur la liberté d'expression. Pour tout vous dire, je
n'ai pas lu le livre avant notre interview vu que l'attachée de presse sus-citée
avait oublié de me l'envoyer. Elle devait être trop occupée à nettoyer les
fameuses coquilles...
Cela dit, Bruno Gaccio, magnanime m'a servi en live, de
larges extraits de cette réflexion:
« Turner ou Murdoch modèlent la pensée d'un milliard
d'individus dans le monde. »
« Je milite pour un délit d'accusation excessive
d'antisémitisme. »
« Je déteste être en retard. »
« On cache la mort aux enfants. »
« Patrick Sébastien véhicule des valeurs ludiques et
populaires. »
Pourfendeur d'un système où l'omnipotence de l'argent le dégoûte, Bruno Gaccio
est pour le moins rompu à la technique de la promotion. Quelques phrases chocs
et une attitude un brin méprisante, voilà qui ferait vendre n'importe quel
bouquin. Mais sous ses airs impertinents, Bruno Gaccio, atteint son but presque
à chaque coup. Après une heure de discussion, je ne peux m'empêcher de penser
qu'un mec comme ça est parfaitement indispensable dans une société qui ne
revendique plus qu'une pensée unique: celle du fric. Au temps où la presse
s'affirme plus que jamais comme le quatrième pouvoir, un type comme Gaccio
s'impose en contre-pouvoir... Et d'ailleurs, j'y pense, qu'est-ce qui m'empêche
aujourd'hui d'écrire un tel article? Rien. Alors merci pour le café Monsieur
Gaccio. Ah mais non, je suis bête c'est moi qui ai payé: 14,80 pour deux
expressos et une tarte coco. L'attachée de presse n'avait pas de monnaie !
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