Albert
Artiacco, un destin exceptionnel
Auparavant
au Café Bellecour, Albert Artiacco a transporté ses quartiers à la Brasserie
L'Espace depuis que son frère Rolland a repris l'établissement en
juin 1999. Confortablement installé dans une banquette, le co-fondateur
de Regit et d'Ecco - Travail Temporaire- tient salon. A 65 ans, ce
Lyonnais d'origine modeste profite d'une retraite active fort méritée
après des années de haute voltige professionnelle.
Le
pionnier du travail temporaire a usé ses fonds de culottes sur les pavés
de la rue Saint Georges...Pour éviter qu'il ne tourne mal, ses parents
l'envoient chez les Lazaristes où il découvre les joies du pensionnat.
Ca m'a donné des bases et des valeurs autres que celles de la
rue raconte Albert qui quitte ensuite les curés
pour rejoindre Maisonneuve où il côtoie le gratin lyonnais des fils à
papa, clientèle habituelle de cette boîte à bac renommée.
Son
baccalauréat en poche, direction l'Angleterre
où il restera un an. En rentrant de Dakar, où
il vient d'effectuer son service militaire,
Albert fait ses premières armes dans le tourisme
- aux Wagons Lits comme valet de chambre. De
retour à Lyon, il fait la connaissance de Philippe
Foriel-Destezet, alors frais émoulu d'HEC
et responsable export d'une entreprise de fournitures
électriques. Poussés par la sur d'Albert qui
travaillait pour Bis, les deux compères créent
leur première boîte d'intérim, A.L.S.
(Agence Lyonnaise de Secrétariat), spécialisée
dans le tertiaire en octobre 1962.
Le
marché s'ouvrant de plus en plus, les deux associés
abandonnent leur première raison sociale trop
restrictive et fondent en 1964 Inter
Ecco avec 5000 F. Tout était possible
à cette époque, se souvient Albert ; C'était
un peu le Far West .C'est Philippe qui
trouve le nom de la boîte lors d'un voyage à
Milan à partir d'une expression très usitée
en Italie : Pronto, Eco .
L'âge
d'or de l'intérim commence alors et l'affaire
connaît une ascension fulgurante, comparable
à celle des Start Up actuelles. Nos jeunes entrepreneurs
- très courtisés - sont les barrons de l'économie
locale.
Mais
peu à peu, l'amitié entre les deux hommes connaît une crois-sance
inversement proportionnelle à celle de leur entre-prise ; les enjeux
financiers sont im-menses et l'argent prend peu à peu le pas sur
l'affectif. Philippe Foriel-Destezet fait des plans sur la comète avec
ses proches pour prendre le contrôle de l'entreprise. En 1970, il fait
une offre de rachat à Albert qui ne peut résister à l'appât du gain.
Poussé gentiment dehors, le jeune Artiacco se retrouve sur le pas de la
porte avec un chèque représentant 50% du capital. Il s'agit d'un
beau pactole pour l'époque. Dans cette opération, Philippe
Foriel-Destezet réalise un coup de fusil. Mal conseillé, Albert a
sous-estimé la valeur de ses parts. Grand seigneur, Philippe laisse à
son associé deux filiales, l'ALS et Regit.
Les
deux entreprises se développent parallèlement à un rythme différent. Dès
1992, Ecco fait son entrée à
la Bourse de Paris. La fusion avec le suisse Adia en 1996 en fera le numéro
1 mondial du secteur. Présente sur les 5 continents, la holding rebaptisée
Adecco dispose de 3500 agences
et emploie 500 000 intérimaires par jour. Son Chiffre d'affaires pour
1999 s'élève à 100 milliards de F.
Regit
, quant à elle, demeure une entreprise régionale avec un CA de l'ordre
de 600 MF par an. Au milieu des années 90, elle compte une quarantaine
d'agences.
En
1994, Albert Artiacco cède son bébé au hollandais Védior.
Le bon âge pour profiter de la vie et partager de bons moments en
compagnie de Manuela, sa compagne depuis vingt ans (prise en flagrant délit
de gourmandise dans le magazine Cote du mois de mars). Même si il
est souvent en vadrouille du côté des Etats Unis, Albert demeure très
présent à Lyon, où il conserve une multitude d'attaches amicales et
professionnelles (Il possède ainsi 50% d'Axelis
T.T. et a été longtemps l'associé de Daniel
Perez dans Radio Scoop).
Vous retrouvez à sa table des relations très éclectiques qui vont de Victor Bosch (Le Transbordeur) à Jean-Marc Requien (Euro RSCG) en
passant par Fernand Galula (Les
Petites Affiches) et Charles
Balaÿ, le célèbre antiquaire de la rue Auguste Comte. Il dîne régulièrement
au Milano d'Edouard Keguny sur lequel il ne tarit pas d'éloges.
De
son côté, Philippe Foriel-Destezet codirige le groupe Adecco. D'après
une en-quête parue en janvier 1999 dans Lyon Mag, sa fortune
personnelle - qui a doublé depuis 1997 - est évaluée à 11 Milliards de Francs. Ce chiffre a été contesté par l'intéressé.
Installé à Londres avec la jet set, il n'a plus que d'épisodiques
rapports avec la ville qui l'a vu démarrer
même si le siège français du groupe est encore situé à
Villeurbanne.
Les
deux hommes n'ont guère de contacts aujourd'hui. Albert conserve-t-il
de la rancur vis à vis de son associé qui l'a sorti
en toute conscience : Nous nous sommes séparés pour des
raisons de culture même si les pressions exercées à mon encontre ont
joué un rôle important dans ma décision. Je n'en veux qu'à moi-même .
affirme-t-il humblement.
Philippe
Foriel-Destezet a pourtant fait peu de cas de l'amitié qui les liait à
l'époque. Dans les affaires, l'affectif finit toujours
par disparaître. Il suffit de regarder les grands hommes : ils sont
seuls, avec souvent des cadavres plein les placards... commente
Albert Artiacco, philosophe.
A
l arrivée, des parcours exceptionnels. Mais à
choisir entre les deux, il n'est pas sûr qu'on ne préfère
pas le destin de challenger de l'Italien. Question de savoir-vivre sans
doute !
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