Interview
de Maurice Fusier - France Info
Propos
recueillis par nos correspondantes Marine et
Alexia
Vous
le connaissez peut-être depuis longtemps sans
l'avoir jamais vu. Vous allez désormais pouvoir
mettre un visage sur cette voix familière qui
ponctue les rendez-vous lyonnais de la première
radio d'info continue. Avant la sortie en
librairie des « Plages de l'info »,
Maurice Fusier nous a accordé une interview
exclusive.
Age,
prénom et qualités...
Age :
52 ans physiquement, 22 ans dans la tête
Sexe
masculin enfin, je crois ...
Gros,
petit, ...
Il
n'est pas gros mon sexe (rires). Non, ce serait
mal venu dans ma bouche ... Normal (rires) euh ...
ce n'est pas ce qui intéresse le plus les gens !
Vous m'avez troublé ...
Non,
je ne voulais pas parler de ça mais de votre
physique !
Votre
situation familiale ?
C'est
un peu compliqué. J'ai eu une petite fille avec
ma compagne qui est avocate, fin août. Voilà,
sinon, j'ai deux grands enfants qui ont 28 et 24
ans d'un précédent mariage.
Votre
passion, le bricolage ...
Oui.
Ma vraie passion d'abord, c'est la radio que
je pratique depuis plus de 27 ans. Ca, c'est ma
vraie passion et puis pour me sortir tous les
problèmes que j'ai dans la tête suite aux
choses monstrueuses que j'ai vues, c'est vrai
que le bricolage, ça détend. Mes nuits sont
alimentées, enfin étaient, puisque maintenant
j'ai d'autres soucis avec la gamine, donc étaient
alimentées pendant des années par ce que
j'allais faire dans ma maison. Je réfléchissais
et après, j'adaptais. C'est pas seulement le
marteau, c'est le carrelage, c'est la
tapisserie, la peinture, ... J'ai agrandi ma
maison, j'ai fait des fenêtres, des fondations,
l'électricité, ... Bref,
un one man show !
Votre
caractère ?
J'ai
assez bon caractère. Je crois que je suis très généreux,
ce qui est à la fois une qualité et un défaut.
Quand je dis « généreux », ce
n'est pas donner 10 balles à quelqu'un mais
c'est donner du cur ...
Votre
parcours professionnel ?
Bac
philo avec mention, licence de langues, maître
auxiliaire en langues à Lyon pendant 4 ans.
Ensuite, assistant chef de pub dans une boîte de
publicité à Lyon, la Banque Moderne, qui
n'existe plus aujourd'hui et puis des concours
de photos qui m'ont rapporté des prix et puis,
en 1974, je suis parti à Ajaccio comme pigiste
occasionnel à l'ORTF. En 1979, je
quitte la Corse en tant que patron de la radio qui
entre temps est devenue FR3 Corse, radio et télévision.
Je suis parti en stage vidéo etc ... Mais j'ai
choisi la radio parce que c'est un outil, au
quotidien, plus convivial et plus agréable à
travailler que la télévision, plus rapide. Et
donc je reviens sur le continent en 1979. Je
deviens envoyé spécial permanent de France
Inter.
En 1974, par une loi qui a tué l'ORTF,
plusieurs organismes ont été créés :
Antenne 2, FR 3, ... Donc Radio France est obligée
de mettre en place des envoyés spéciaux
permanents parce que les radios régionales et
locales appartenaient à FR 3. C'était une
aberration. Radio France avait donc tout ce
monde à Paris mais ils leur fallait des envoyés
spéciaux permanents. Je faisais partie de ces
envoyés spéciaux, nous étions 7. Dès 1980, les
radios locales ont été créées. En 1984, Radio
France a mis fin aux activités des envoyés spéciaux
permanents car les radios locales comme Radio
France Lyon devenaient des correspondants
privilégiés de Paris. Donc, je suis devenu Rédacteur
en Chef de Radio France Lyon, j'avais 2
casquettes. Tout d'abord animer une équipe à
Lyon, ce qui n'est pas évident, et puis
correspondre avec France Inter, faire les
liaisons avec Paris. Ca a duré jusqu'en 1990.
Puis
je suis devenu Directeur de Radio France Lyon. Là,
on a décidé de tuer la radio locale car elle
n'était plus rentable. C'est moi qui ait fermé
cette radio qui était déjà située rue des
Archers. Puis, je suis devenu Grand Reporter et
correspondant au bureau de France Inter jusqu'à
la naissance de France Info en 1984 et j'ai
retrouvé mon poste d'envoyé spécial permanent
sauf que je n'étais plus seul, nous étions
trois. On sera 4 dès le mois d'octobre. Nous
sommes obligés d'augmenter les effectifs
compte-tenu des 35 heures.
Est-ce
que vous vous êtes déjà dit « Comment
pourrais-je occuper ce temps libre ? » ?
Non,
et mon gros problème, c'est que je n'ai pas
le temps de m'ennuyer. Les semaines passent trop
vite. Vous voyez, ce que je fais là, c'est très
agréable, mais j'ai très peu de temps.
Une
anecdote ? La meilleure et la pire ?
J'ai
été invité par le Shah d'Iran chez lui,
dans son pays, au moment où il allait chuter et
c'est son premier Ministre, l'Emir Abbas
Obeyda qui nous avait invité. Il était venu
faire une conférence de presse à Ajaccio et il a
invité quelques journalistes chez lui. On a passé
15 jours merveilleux. J'ai été attristé de découvrir
quelque temps après que Abbas Obeyda, qui était
quelqu'un d'extraordinaire, avait été
assassiné à la suite d'un reportage de Christine
Ockrent qui avait été réalisé dans les
prisons de l'Ayatollah, en Iran. Et puis, il y
eu d'autres reportages où il y eut mort
d'hommes. C'est toujours tragique la mort. Je
me rappelle avoir vu en 1982 des convoyeurs de
fonds morts par terre et c'est là qu'on a
envie de leur dire : « allez,
relevez-vous, c'est fini » mais les gens
sont morts. La mort, c'est terrible. Je me
rappelle aussi de Montpellier, en 1981, à la
morgue, où j'ai vu une dizaine de corps,
suite à la tuerie du Sofitel d'Avignon. Il y
avait 15 personnes qui avaient été assassinées,
dont des jeunes filles comme vous, par des voyous.
Assister à l'autopsie de ces corps a été
horrible.
Mon
meilleur souvenir, c'est quand les gens sont
rescapés ou saufs. Vous savez, dans notre métier
de journaliste, lors de nos grands reportages, on
vit entre la vie et la mort. Vaison-la-Romaine,
c'était horrible aussi. On entendait des cris
dans la nuit sans savoir d'où cela venait.
Quand il y a un enlèvement, que le petit garçon
ou la petite fille est sauf, et bien on respire.
Je ne recherche pas le sensationnel et je crois
que c'est en restant humain que l'on arrive à
prendre ses marques et c'est comme ça que
l'on arrive à avoir de l'émotion dans ce que
l'on écrit et ce que l'on dit. Je connais des
confrères très blasés que rien ne touche parce
que n'est pas leur mort mais celle des autres et
je pense qu'ils passent à côté de leur métier
...
Donc,
il faut laisser transparaître l'émotion dans
les reportages ?
Oui,
sinon, il n'y a plus de couleur dans le papier.
Se contenter de dire ce qui s'est passé, si il
n'y a pas d'affectivité ... Vous ne pouvez
pas non plus vous blinder et vous mettre une
carapace afin de ne rien éprouver, ce n'est pas
possible ou alors, il faut changer de métier, il
faut être croque-mort. Je n'ai rien contre ces
gens-là. Je ne sais pas si vous avez déjà vu un
parent ou un ami se faire enterrer, je ne vous le
souhaite pas, et bien les gens qui emmènent le
cercueil au cimetière sont totalement neutres.
Mais je ne doute pas qu'ils aient des sentiments
mais ils sont de marbre, ils ont l'habitude.
Mais moi, je n'arrive pas à me faire à la mort
et à m'y habituer.
Dans
votre métier, qui est votre meilleur ami ?
C'est
moi-même, c'est mon micro. Je suis très seul
quand je fais des reportages. C'est ma
conscience, ma déontologie aussi. Il faut se démerder
tout seul bien souvent.
Votre
pire ennemi ?
Ca
ne m'est jamais arrivé, je touche du bois,
c'est le ratage. C'est à dire de part son
incompétence, de part son manque de préparation.
C'est rater un reportage. Alors, bon, j'ai eu
quelques déboires dans ma vie. Au début de ma
carrière, j'avais effectué un reportage très
intéressant sur un attentat et la bande s'était
rayée. Mais bon aujourd'hui, j'ai appris. Je
mets désormais tout en uvre pour que tout se
passe normalement et qu'il n'y ait pas
d'erreur. Mais il n'y a pas de parcours sans
fautes ! J'ai vu des confrères partir en
reportage, notamment sur le drame du Mont Blanc,
et ils n'avaient pas de ciseaux dans leur
sacoches pour monter les bandes. Il a fallu que je
prête ma paire de ciseaux, du scotch et une
barrette. Quand on part et qu'on ne vérifie pas
son paquetage, ça, c'est une grave erreur et à
mon avis, c'est ça l'ennemi de notre métier.
Avez-vous
un modèle dans votre métier ?
Oui,
je peux parler de Robert Darranc, 65 ans, qui
était le patron de RTL à Lyon et qui est
en semi-retraite. C'est quelqu'un que j'aime
beaucoup parce qu'il a beaucoup de cur. Nous
avons fondé tous les deux une association qui
s'appelle « Les Amis du Safari Parc de
Peaugres ». Il est président, je suis le
vice-président. Ceci est parti d'une boutade.
Chaque année, on va faire un méchoui dans le
Safari avec les journalistes et ce projet a vu le
jour lors de l'un de ces méchouis. Cette
association a pour but d'emmener plusieurs fois
par an des enfants handicapés, des aveugles, des
enfants atteints du cancer... à Peaugres.
J'aime beaucoup Robert Darranc, et il me le rend
bien. Ma référence, c'est lui.
Est-ce que vous avez l'impression d'être la
référence de quelqu'un ?
Non,
pas du tout. Enfin, je ne l'espère pas, je ne
me rends pas compte. Cela voudrait dire que j'ai
vieilli et ça me ferait mal. Mais c'est vrai
que je me pose la question quand je vais à des
conférences de presse, depuis quelques temps, je
regarde si il y a des nouvelles têtes, c'est un
signe. Il y a des jeunes qui ne me
connaissent pas au départ et qui se demandent qui
est ce vieux con ! |