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/ THEATRE


 

17ème édition du festival « Les Bravos de la Nuit »

 

 

De notre envoyée spéciale Dalya Daoud

 

A Pélussin, le fantôme de Gaston Baty (théoricien du théâtre, au sein du groupe artistique de Louis Jouvet et quelques autres) a permis il y a plusieurs années d'allumer les projos sur un festival de théâtre alternatif. L'événement met en branle la commune et ses alentours, cette année bien souvent incendiés... Nombreux furent ceux qui, étouffant à Lyon, se sont rendus sur les lieux.

 

L'été aura donc été marqué par la 17ème édition du festival Les Bravos de la Nuit, ("presque un adulte", remarquera aussi l'adjointe à la culture), événement bien ancré dans sa région, et qui peut aspirer à une envergure nationale. Qu'en est-il donc de la spécificité de cet encart estival, au milieu de tant d'autres parmi toutes les villes de la région, récurrents ou éphémères? D'abord, qui s'attend à quelques spectacles et clowneries de rue se trompera de destination, même si les interludes musicaux donnés par le groupe lyonnais La Margot[1] se sont joués à l'ouie et au su de tous, sur un carré d'herbe jaune, et parfois sous un parapluie de fortune... A Pélussin, le quartier de Virieu abrite une fois par an une résidence d'artistes dans un château et ses caveaux, ainsi que dans le célèbre parc du mont Pilat. Lesquels font des espaces d'adaptation scénique plutôt incongrus, mais source inépuisable d'inspiration.

 

Cette année, six compagnies se sont installées, un peu au hasard des coups de foudre, dans l'un ou l'autre de ces lieux, pour s'y produire chaque soir durant une semaine. Les jours précédant les représentations sont de coutume réservés au travail de création. Parce que le contrat tacite (et qui, disons-le au passage, devrait l'être moins afin d'éviter les malentendus en cours de route) est celui-ci : on exige des compagnies qu'elles modèlent sur les lieux mêmes de la représentation l'une de leur création, déjà représentée durant la saison écoulée, afin qu'elle devienne alors quasiment inédite, et dans l'espoir de devenir meilleure encore en qualité. « Il s'agit de rencontres avec des comédiens avant tout, avec des individus et leur talent, et pas d'amorcer la longue carrière d'une compagnie, puisqu'elle se démantèlera sans doute dans l'avenir », explique-t-il. Le cas est par ailleurs parfaitement illustré avec le théâtre Populovitch, qui présentait cette année Wattmille Pélo, créé à l'occasion du festival, et annihilé immédiatement après. La compagnie de Fabrice Taponard s'envisagera sous d'autres noms, pour d'autres spectacles, en mouvement continu.

 

Six ensembles de saltimbanques, acharnés dans leur travail permanent, ont ainsi formé un petit panel de la jeune création dramaturgique. Et le détournement (plus ou moins réussi par ailleurs) des œuvres classiques du genre a été un moyen d'expression apprécié. Pour exemple, Feydeau a été revisité par la compagnie nouvellement sortie de l'école d'art dramatique de Saint-Étienne, tandis que les personnages du célèbre Songe d'une nuit d'été de Shakespeare se sont vus empalés par les comédiens du théâtre de Romette, comme les vulgaires et drolatiques marionnettes qu'ils étaient devenus. On note un grand attrait pour le vomi... Il ne faut pas vomir pour les uns (le Feu Madame votre mère de Feydeau a été ré intitulée : Ah non ! Tu ne vas pas vomir, je ne t'ai pas épousé pour ça !), quand, dans d'autres pièces, certains régurgitaient allègrement sur scène. Ce théâtre contemporain tenterait de stigmatiser sur scène les réflexes corporels les plus prosaïques, semble-t-il. Dans le vaste atelier, où l'on a déclamé du Feydeau, en bis repetita pour vous servir messieurs dames, toute la semaine durant, le pari a été difficile : une version comédie royale précédait une version comédie française, de l'unique pièce de Feydeau : Feu la mère de Madame. Opération d'autant plus périlleuse que le metteur en scène s'en est allé vers d'autres contrées, laissant ses comédiens dans une position confuse et brouillonne, visible jusque sur la scène. Il faut croire que les termes du contrat établis avec le festival n'ont pas été compris.

La topographie de chacune des pièces était idéale. Ainsi, La Vieille, par la compagnie Carnage, d'après un montage des textes de Daniil Harms, ou celle que l'on appelle "la sixième pièce" a trouvé dans le fonctionnement du festival une place particulière. En plus d'être géographiquement excentrée, elle était différente. Philippe Castellano, mis en scène par Amandine Brenier, fait sans doute partie de ces acteurs que l'on souhaite revoir, ailleurs, ou ici de nouveau, mais sur scène toujours. La perception de ce texte cynique, dans une obscure et lointaine Russie, noyée dans son emblématique vodka et ses files d'attente surréalistes, est intelligente. Philippe et le personnage fusionnent, et la trace de cette parfaite adéquation perle sur leur front partagé. En général, au bout de la sixième huître on ne s'attend plus à trouver une perle, il faut parfois savoir être gourmand. A noter : La compagnie Carnage sera sur la scène des Clochards Célestes ces 28 et 29 septembre.

 

Il faut remonter un chemin caillouteux, laissant les pavés reprendre leur droit entre les habitations hautes, pour arriver ensuite jusqu'au parc du Pilat. La compagnie Lalue y a balancé sons et lumières, cinémas et Melchiot, jeune auteur actuel dont les succès s'enchaînent. Contre toute attente, le texte cru et violent (Percolateur Blues) a séduit un public non averti. En majorité tout du moins, car quelques regards fuyants cherchaient parfois de l'aide au-delà du décor. Lequel reflétait dans sa vitalité l'audace des deux metteurs en scène, également actrices de la pièce. Le travail et la création se sont surtout portées sur l'utilisation de l'espace : des spot lights accrochés sur la façade de la maison du Pilat (au désespoir de son gardien), un puits et des marches de pierre montées pour l'occasion. Adaptation au lieu réussie, bonne résonance du public impressionné par l'intervention technique importante, et par quelques passages narratifs joliment sensualisés. La compagnie devrait se produire sur la scène Gerland (aussi école de théâtre dont les comédiens viennent de sortir), du 3 au 9 novembre, pour adapter encore un texte de Fabrice Melchiot, dont les filles de la troupe semblent complètement éprises...

 

En sortant du parc du Pilat, le chemin nous fait glisser jusqu'au Castelet des Illusions, par le théâtre de Romette. Shakespeare est censé inspirer cette comédie qui divulgue l'envers du décor. La parole est prétexte à la farce, à laquelle le public peut assister deux fois, coté scène et coté coulisses. Le trio de comédiens fonctionne à la perfection, dans une danse synchronisée irrésistible. Le parti pris de la mise en scène est sans doute celui du divertissement, pas plus. Mais ni moins. Le spectacle a remporté tous les succès, parce que nouveau chaque soir, même dans les pires conditions. En effet, l'orage a grondé et les laissés pour compte de la météo ont crié au désespoir, o quel festival de m... ! Quelqu'un a rappelé qu'il est bon que « la nature reprenne ses droits. Et nous remette à notre place.» La pluie passée, les colères calmées, le comédien, ramené le temps d'une tempête à sa pauvre condition humaine, peut de nouveau se gausser, en prenant garde de ne pas glisser, sur une herbe un peu mouillée...

 

Parmi les « off » du festival : d'aucuns disent que la qualité du théâtre offert à Pélussin reste à revoir. A la hausse. Un tel répond que sans quelques pièces « faciles d'accès », d'aucuns n'auraient pas de public. En effet, l'initiation au théâtre pour un public rural, ou non initié, reste une priorité ici. Cependant, un caveau du château de Virieu a magnifiquement tenu lieu de cellule au huis clos de Jean Genet, Haute Surveillance, admirablement mis en scène par Michel Tallaron. L'humilité de cet homme de théâtre face à l'arrogance de certains débutants gominés et duveteux dévoile tout à coup deux métiers différents : la mise en scène empreinte de réflexion sur l'art contre une tentative de représentation. L'œil critique et la poésie, avant toute chose. La pièce est construite à partir des souvenirs imaginés des personnages incarcérés en prison, et dont la part de mensonge leur est sans cesse renvoyée à la figure, comme unique issue de secours. L'éclatement total des murs provient du jeu de séduction entre les trois prisonniers, autre partie narrative de la pièce. Le metteur en scène a optimisé un espace scénique réduit, et donc idéal: le caveau du château, à l'aide d'acteurs très mobiles, aux jambes aussi élastomères que leurs rêves. On devrait voir la pièce en novembre à la salle Gérard Philippe, et en décembre à l'Espace 44. Ce même spectacle n'a pas eu lieu au festival d'Avignon, où il était programmé. Comme dans toutes les manifestations artistiques depuis quelques mois, les réflexions sur le sujet étaient latentes... Il faut savoir que les revendications des intermittents du spectacle (ceux-ci ne le sont pas tous encore, et la question se pose de savoir s'ils le deviendront un jour), ont été expliquées au public, mais n'ont à aucun moment parasité les spectacles et autres festivités. Le public aura au moins retenu dans les grandes lignes qu'un spectacle tel que celui auquel il venait d'assister n'aura plus l'occasion d'être créé. Le discours était bienvenu, bien amené parce que nécessaire.

L'année 2003 a-t-elle été un bon cru pour l'événement culturel de Pélussin ? Les répliques trop déclamées pour certains, les mots chuchotés en justesse pour d'autres ne se sont éteints que tard dans la nuit. La mécanique à laquelle il est possible d'assister à Pélussin est celle d'un théâtre jeune et moderne.

Les « bravos ! » de la 17ème édition furent parfois un peu timides, comme si les non habitués des salles de théâtre ne se sentaient pas assez experts pour frapper dans leurs mains, plus ou moins forts selon leur sentiment. Mais les claps claps ont pris de l'assurance au fur et à mesure des jours, enfin, quelques sifflets d'encouragements ont même percé la nuit. Pour la 18ème édition, peut-être quelques acclamations hors les murs ? En effet, quelques projets avec la ville de Vienne sont en cours de discussion...
 


[1]Qui joue régulièrement depuis la rentrée au Phoebus, les jeudis soirs.