On ne vous voit guère dans les soirées mondaines. Vous préférez la
protection et la discrétion des murs de votre propriété. Où vous vivriez
comme un nabab avec deux femmes dans votre lit... Mythe ou réalité ?
Réalité. Concernant les soirées
mondaines, je pense qu'on frôle la quintessence de la connerie : pas
d'émotion, pas de sexe, pas de business. Si ça change, appelez-moi !
(rires)
On raconte que vous célébrez des messes orgiaques dans votre propriété...
Est-ce la seule place que vous consacrez à Dieu ?
Il n'y a pas de contradiction pour moi
entre la pulsion éros thanatos et sa relation au divin. C'est même une
composante essentielle. Quant aux rumeurs que des personnalités de la
politique, de l'économie et du show-biz viennent brûler leurs âmes dans
mon Domaine à St Romain, je vous répondrai tout simplement que le rite
orgiaque est d'un point de vue sociologique extrêmement formateur pour
toutes les classes dominantes de la société. La communion des corps nus et
les râles permettent d'abolir le statut qu'on nous porte. Mon ami le
sociologue Daniel Walzer-Lang, grand spécialiste des minorités sexuelles
agissantes (que je représente pleinement à travers mon mode de vie) a
écrit un nombre d'ouvrages fort intéressant sur le milieu des échangistes
où effectivement selon moi, l'horizontalité des rapports abolit la
verticalité de l'échelle sociale.
Et Dieu dans tout ça?
Je suis avant tout un damné et un homme
de doute mais l'homme de foi est habité par le doute jusqu'à la dernière
seconde de sa vie selon Saint Augustin. Je me prends à rêver d'une
conversion fulgurante à la Paul Claudel en changeant néanmoins de casting.
Je souhaiterais mon ultime conversion dans un lieu de perdition où Dieu,
dans son infini bonté m'ordonnerait de rester la fin de mes jours pour
convertir ces âmes prisonnières du démon de la chair. Si ce cadre de
Rédemption m'était refusé, je choisirais alors la crucifixion, c'est
l'acte absolu d'amour et de pouvoir qui transcende votre vie de damné.
On dit que vous fréquentez souvent les clubs échangistes et qu'ils sont
votre terrain de chasse. Vrai ou faux ?
Génétiquement, je suis prédateur et il
est vrai que le milieu de l'échangisme que je fréquente depuis le début
des années 80, m'a toujours amené des rencontres hors du commun avec une
vraie philosophie de vie. Je n'ai pas attendu "Les Particules
Elémentaires" de Michel Houellebecq pour écrire et affirmer que ce milieu
est structurellement socialisé. Etablir une distinction entre le sentiment
et la pulsion sexuelle, abolir toute forme de violence verbale ou
physique, donner le droit à chacun de dire oui ou non, avoir la tolérance
comme règle principale et surtout admettre qu'une superbe croupe est là
pour prendre son pied et certainement pas pour s'exhiber socialement dans
un vernissage mondain.
Réalité ou fiction ? Vos carnets de chèques ont pour adresse Bora Bora...
Effectivement, j'ai acheté il y a 15 ans
un petit motu à Bora Bora entre le Lagon et le Pacifique avec mon ami et
associé l'artiste peintre François Moillo. Il y a vécu durant ces 15 ans
où la maladie l'a emporté. Et il repose, selon ses vux, là où ses rêves
l'ont amené. Depuis, j'observe un très grand recul face aux îles,
l'insularité porte en elle les germes de la tragédie fatale. J'ai donc mis
fin à mes désirs insulaires, tant à Bora Bora qu'à l'Hacienda d'Ibiza.
Vous avez déclaré au Monde : « Quand j'ai découvert l'Internet aux
Etats-Unis à la fin des années 1980, j'ai décidé de retarder mon suicide
de vingt ans... » Pour quelle raison avez-vous différé l'échéance ?
Ce portrait du Monde en page Horizons
date d'avril 2001. J'ai donc décidé de signer un report d'échéance avec
Dieu. Et il a accepté. C'est un sage. Je ferai de son paradis un enfer. Et
dans le cas contraire, l'enfer serait pour moi un paradis. La damnation
est une vraie profession de foi.
Laisser des traces indélébiles sur terre semble être votre principal
leitmotiv. Que retiendra-t-on de Thierry Ehrmann après son passage dans
l'au-delà ?
Des traces
indélébiles, j'en connais peu. Les statuts d'auteur et d'artiste
permettent, par le pouvoir de l'art, de marquer des générations entières.
Cela fait près de 20 ans que je sculpte, grave, frappe et écris des mots,
des émotions, des drames. Quand je créé des ruines noircies par le feu et
la folie des hommes, quand je hurle de désespoir, et que je créé pour
éviter de se mettre une bastos, je laisse des traces sur les routes, les
pierres et le ventre des femmes. Ma vie est une uvre d'art permanente.
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