Morceaux choisis
Dédiés à nos princes
de la "cléricaculture", ces extraits du dernier bouquin de Philippe
Meyer : "Démolition avant travaux".
"En tant que
corporation, les artistes ne se risquent au feu que lorsqu'il a cessé. Ou,
comme c'est aujourd'hui le cas, quand il s'agit d'une simple bataille de
mots. Un calicot reprend étourdiment le slogan du front populaire
espagnol, "No pasarán". Ce n'est pas, quoi qu'en pensent ceux qui portent
cette banderole, l'expression d'une volonté mais le constat d'une
situation : le fascisme ne passera pas, en France, en mai 2002."
"Les
manifestations d'artistes échappent rarement à la puérilité. Dans ces
métiers individualistes à l'extrême, dans ce milieu de petite taille où
les rivalités prospèrent et se fécondent, on "se la joue grave" dès qu'il
s'agit d'une flambée de dépassement de soi. Les comédiens "chargent" et se
laissent aller aux effets qu'ils réprouvent au théâtre. Le public de
collègues les y encourage."
"Les professions
artistiques se sont faites le relais de ce brouet idéologique controuvé en
soumettant volontairement leurs créations et leurs productions à des
critères d'utilité politique et d'excellente morale. Dans leur ralliement
aux forces du Bien, nombre d'artistes ont trouvé une façon de se présenter
qui leur assure un crédit matériel et moral, tout en décourageant la
critique. Annoncer que l'on subordonne son uvre à la lutte contre
l'exclusion, affirmer qu'on la met tout entière au service de la
reconstitution du lien social, proclamer qu'elle fait partie d'une
entreprise citoyenne, telles sont quelques-unes des attitudes et des
expressions toutes faites dont l'usage constant et répété a fini par
effacer le ridicule, l'hypocrisie et l'inanité. La rhétorique
éthico-sociale est une vapeur constamment diffusée par l'Ecole, par les
institutions culturelles et par les médias."
"Pour mieux se
constituer en caste et se protéger de la contestation, de la critique, ou
seulement du débat, la cléricature entretient un climat de guerre civile
idéologique. Elle nourrit la fiction d'un puissant mouvement de retour à
l'ordre moral dont elle débusque les indices avec un systématisme digne
des processus paranoïaques."
"On ne peut plus
censurer les mauvais penseurs, on les noie de silence. S'ils surnagent,
leurs opinions, leurs propos, leurs travaux, leurs uvres sont travestis,
tronqués, amalgamés, obscurcis par des intentions que l'on prétend
dévoiler alors qu'on les a fabriquées. Si ces méthodes n'aboutissent pas
complètement, la calomnie vient achever le travail. Une société de secours
mutuel se partage les tribunes médiatiques.
C'est ce petit
monde qui vient d'écrire le canevas de la comédie du fascisme au coin du
bois et de la mobilisation citoyenne. Il en espère un élargissement de son
assise, une pérennisation de son emprise, une reconduction de ses
privilèges."
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