Photo © Julien Smati
Boucher,
écailler, chocolatier, traiteur... comme
à Monaco, on se bat pour entrer dans
le club fermé des résidents des Halles
et de ses soixante commerces, pas un
de plus, distribuant le meilleur des
produits de France et de Navarre.
Visite épicée.
Les Halles
c'est tout d'abord une ambiance à
croquer. Certes, avec son béton
et ses néons, on est loin du paysage
de carte postale commun aux petites
principautés. Mais une fois les portes
du palais poussées on se retrouve dans
un univers à
part, haut lieu lyonnais, de la « lyonnaiserie »
et des courses onéreuses parce
qu'issues de l'élite de la production.
Un monde parallèle - avec ses
intrigues de couloirs, ses dauphins et
ses courtisanes - mais qui porte aux
nues la grande bouffe, celle que
mitonnent les Bocuse et
consort. Il y a des clans, des
cercles, des histoires d'amour et de
fesses. Comme toute nation qui se
respecte, la principauté a sa presse
de cur (vos humbles serviteurs) et
ses princesses (dont Olivia qui
fait la couverture). Au courant des
moindres détails et immuables
derrières leurs étals, les duchesses
douairières mènent la danse.
Impatiente, la jeune génération rêve
de prendre le pouvoir mais s'incline
devant le travail accompli par les
anciens. Car il en a fallu de
l'opiniâtreté pour faire venir les
visiteurs dans ce quartier sans âme
après l'inopportune destruction des
anciennes halles des Cordeliers !
En périodes
de fêtes, on se bouscule aux marches
d'un palais que certains arpentent
comme un musée. Ici le Saint Marcellin
de la Mère Richard est une
uvre d'art au même titre que la
Joconde au Louvres. Enfin presque !
Soixante commerces pas un de plus. On
dit la place chère, n'empêche que le
livre d'inscriptions affiche complet
avec l'arrivée de Bellota,
charcutier ibérique renommé qui
installe ici un pôle dégustation non
loin de Cellerier. On vient de
loin, de très loin humer cette
atmosphère matinée de Comédia del Arte.
Si le Lyonnais moyen fait ses courses
en toute hâte, il faut assister à la
grand'messe du dimanche. Une cohue
sans nom joue des coudes chez
Antonin, Merle, Rousseau...
Les écaillers gouvernent l'endroit
huit mois l'an, les mois en r, de
septembre à avril. Le riche,
l'entrepreneur, l'artiste, le cultivé,
l'élu et le journaleux se croisent,
s'entrecroisent, se saluent, se
présentent, s'évitent ou se jaugent.
Et puis ces commerçants, la dame
souvent gentille et serviable, et le
monsieur le bagout à la hauteur du
gabarit et derrière les jeunots au
vocabulaire fleuri. L'un qui minaude
l'autre qui braille dans ces étals
regorgeant de nourriture. Ah
Monsieur Rolle qui réclame une
station de Vélo'v à S.A.A.
Guy de Thorey, adorable, vicomte
accessoirement promu directeur des
lieux par la ville. Les stands épicés
de Bahadourian qui depuis
quelques années est venu avec succès
se mêler au gang des métiers de bouche
lyonnais.
Il faut
voir, un groupe de Japonais à la
tournure déjantée tout droit sorti
d'un manga en état de quasi
prosternation devant les monticules de
chocolats Sève. La petite dame
flanquée du chienchien venu se
procurer la quenelle, pardon le cocon
hebdomadaire. Et puis les patrons de
la night, ces jeunes tenanciers groggy
mais hilares qui déboulent de
Saint-Jean pour parachever la nuit
chez Antonin devant un canon de Macon
et quelques coquilles. Une verve qui
masque le tombereau d'heures de boulot
déjà abattu. Les Halles se réveillent
des cinq heures dans une cacophonie de
camions, il faut réceptionner, trier,
déballer, ranger, découper, monter
sans oublier de faire le tri en
respectant les ordres de passage, pas
question que le fringuant poisson
croisent une moitié de charolais
complètement nu. Damned, nous sommes
aux Halles de Lyon en phase de
redressement architectural. Vous allez
voir en 2006, ça va la faire, avec
immense vitrine verrière sur le cours
Lafayette. Prudence, chez Sibilia,
le jambon est déjà entièrement
découenné, et les belles en manteau de
fourrure de traverser l'air de rien le
Saint gra'Halles.
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