Didier Rinck :
« Je ne suis pas un enfant
gâté ! »
LP :
Vous venez de céder la Brasserie Georges. Dans quel état d'esprit êtes-vous aujourd'hui ?
DR :Tout va bien, je suis un homme content heureux de transmettre une société en
bonne santé avec une bonne image de marque et une bonne notoriété...
Quel chiffre d'affaires avez-vous réalisé sur le dernier exercice ?
6 millions d'euros (40 MF HT)
Vous aviez réussi l'exploit de passer aux 39h sans trop de casse. La
« Georges » est donc une affaire saine socialement et économiquement.
On était à 43h et on est passé à 39, nous il y a 2 ans. On était l'un des
premier dans le Rhône à faire la loi Aubry 1 et Aubry 2 en France on était le
n°3. Et ça sans trop de casse donc la Georges est une affaire saine, socialement
et économiquement.
Vos employés et clients ont appris lundi avec stupeur pour les premiers et
étonnement pour les seconds que vous aviez vendu l'entreprise familiale. Que
va-t-il se passer pour les premiers ?
D'après ce que me dit le repreneur Monsieur Lameloise, il compte embaucher,
puisqu'il manque des postes. Donc pas de souci pour le personnel !
Avant la transaction, à qui appartenait précisément la Brasserie Georges ?
A des actionnaires, dont la famille Rinck : mon frère, ma mère et moi. De plus
il y avait encore une quinzaine d'actionnaires aussi, des petits porteurs.
La
décision a-t-elle été collective ?
Non, moi seul en premier et avec ma mère. (ci-contre en compagnie de ses fils
NDLR)
Et votre frère aujourd'hui ?
Il a suivi avec difficulté mais il a suivi.
Aujourd'hui 98% de la SA ont été vendus à Monsieur Lameloise, donc il reste
2% de petits actionnaires qui n'ont pas souhaité...
Pour l'instant, son but c'est d'avoir le gros paquet. Ensuite il verra avec les
autres.
Christian Lameloise pouvait donc se passer de votre frère...
Absolument !
Alors pourquoi votre frère a-t-il suivi ?
Il ne veut pas qu'on en parle.
Le microcosme lyonnais s'interroge. Personne ne comprend vos motivations.
Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?
Il y des milliers d'entreprises tous les jours qui se vendent, s'il fallait
comprendre pourquoi... Pendant 24 ans de ma vie, je n'ai vécu que dans ma
brasserie Georges à faire mes grandes fêtes, mes banquets... Je veux dire que j'ai
eu une vie extraordinaire à l'intérieur de la brasserie. Je souhaite avoir une
vie un peu plus calme maintenant. J'ai 47 ans, je vais peut-être changer de vie.
L'affaire
était dans le famille depuis 1836... N'avez-vous pas l'impression d'être celui par
qui le scandale arrive ?
Oui, j'avais peur de cette réaction, pendant 2 jours, j'ai reçu à peu près 80
coups de téléphone d'amis, de gens importants qui m'ont téléphoné et pas un seul
m'a dit : « Pourquoi as-tu fait ça, c'est honteux, scandaleux ! » Ils m'ont tous
félicité : « Bravo ! tu as eu le courage de le faire, on aimerait faire la même
chose mais on ose pas franchir le pas... » C'est une décision de chef
d'entreprise. J'ai toujours été un homme de décision, ça s'est vu dans d'autres
choses et là c'est une décision de plus.
Vous avez 4 enfants de deux lits différents. Cette décision est-elle
personnelle ou l'avez prise en concertation avec vos enfants ?
Non, ils ont été mis au courant le jour de la vente, pas avant. Je me suis posé
plein de questions pendant deux mois. J'ai réfléchi jour et nuit ! Cela a été
dur même si je ne suis pas à plaindre. Est-ce que je pourrais vivre sans ? Mes
enfants qu'est ce qu'ils vont dire ? J'ai une petite fille de 10 ans, une autre
de 8 ans, un fils de 17 ans et un autre de 15 ans. Est-ce que je vais attendre
10 ans ou encore 15 ans ici ? Ils ont vu ce que c'était ma vie ici. Je veux pas
leur donner ça.
Qu'en ont-ils pensé ?
Ça ne les traumatise pas. Ce qu'ils les intéresse, c'est les Nintendo, les
consoles, les CD et compagnie.
Vous resterez dans l'histoire familiale comme celui qui a rompu la chaîne ?
Quand mes oncles et mon père ont vendu les usines Rinck en 1970, j'avais 15 ans
et mon frère 18 ans, on n'en est pas mort. Là j'ai souvenir de traumatismes. La
brasserie Georges, c'est un restaurant qu'on a racheté en 1939, ce n'est donc
pas pareil.
Vous venez de divorcer pour le seconde fois. Vos difficultés conjugales
ont-elles eu des conséquences sur votre décision ?
Peut-être. J'avais l'habitude de travailler avec ma femme, elle avait l'habitude
de travailler avec moi, c'est sans doute un élément important.
Une mésentente avec votre frère est également évoquée...
Non. On s'entend bien avec mon frère. C'est une rumeur. On mange tous les
samedis ensemble à la Georges.
A partir de quel moment avez-vous songé à abandonner le navire ?
Pendant mes vacances. J'ai eu le temps de réfléchir tout le mois d'août, pour en
parler avec ma mère et mes proches. Mais j'étais seul pour prendre la décision,
il n'y avait vraiment que deux personnes qui étaient au courant, parce qu'il ne
fallait en parler à personne.
Votre maman est la duchesse douairière de la famille Rinck. Qu'en pense-t-elle ?
Elle est contente pour moi. Parce qu'elle a vu ma vie pendant 24 ans qui était
très dure. Il est nécessaire de rappeler que je suis parti de zéro ici et la
maison était vraiment en mauvaise santé. Elle a vu la progression et la fatigue
que j'ai accumulées pendant 24 ans. Tout juste quinze jours de vacances par an
dans les dernières années.
Votre
départ semble pour le moins précipité. Depuis toujours vous vous plaisez à
incarner la continuité. Exemple l'an dernier, vous êtes à l'origine - aux côtés
de Guy Augis (ci-contre NDLR) - de la création du club des
entreprises lyonnaises centenaires et à l'élaboration du livre qui leur est
consacré... Que s'est-il passé ?
C'est exact, une des rares questions que l'on m'a posée là-dessus. Hier, j'en ai
parlé à Guy Augis. Il y a eu un changement dans ma tête et puis peut-être la
peur de l'avenir, mais ce cercle de centenaire, je reste là dedans, parce que
j'ai une expérience là dessus. Je suis toujours membre élu de la chambre de
commerce. La brasserie Georges continue, moi, je ne suis que le 15ème
patron de la brasserie.
Les Lyonnais ont l'impression que vous vous êtes comporté en enfant gâté qui
a cassé son jouet...
Mon jouet ? et bien, j'aimerais bien avoir un jouet comme ça !
Christian Lameloise ne compte pas mettre les pieds dans la brasserie. Il va en
être le PDG mais ça ne sera pas le directeur général. Vous auriez pu opter pour
cette solution tout en préservant le patrimoine familial, en nommant un
directeur général ici. Pourquoi n'avez-vous pas choisi cette option ?
Pour des raisons financières.
Pourtant quand on connaît les résultats de la Brasserie, on sait que c'est
absorbable...
C'est vrai, mais j'ai une philosophie différente. Ou je suis sur place et je
dirige tout, ou bien je pars. Quand tu es dans une maison comme ça, tu es tout
le temps là. Et à ce poste là, je me voyais mal nommer quelqu'un, lui laisser le
boulot et partir à la pêche.
Les professionnels du secteur évaluent la transaction entre 50 et 70 MF
puisque vous avez vendu le fonds et les murs (un tènement de 12 000m2)... Vous en
empochez la moitié. Qu'allez-vous faire de ce pactole ?
Moins les impôts sur plus value, donc il ne va pas me rester grand-chose. Ça me
laisse juste de quoi vivre. Je ne vais pas faire d'écart. Je ne vais pas
remplacer mes voitures : ma vieille Mercedes de 1990 et ma vieille 806 qui a
120.000 km, je vais les garder. Je vais sans doute aller plus dans les
restaurant voir mes copains, un peu plus au cinéma, dans les cocktails. Mais il
ne faut pas que je dérape. Parce que j'ai deux pensions alimentaires... C'est un
petit pactole, mais je ne suis ni Rothschild, ni Aulas.
Christian
Lameloise (ci-contre) est le nouveau propriétaire. Avez-vous songé à
d'autres repreneurs ou était-il seul sur le coup ?
Il était seul.
Vous allez redémarrer une nouvelle vie. Dans quelle direction ?
Je vais faire de la formation, je vais prendre le temps de me former. Des cours
d'anglais, des cours d'informatique. Je vais suivre une formation sur l'histoire
de l'Art pendant 4 ans, parce que je suis passionné par l'Art. La musée de la
bière, je le laisse à la Brasserie. Par contre ma collection personnelle que
j'ai constituée pendant 15 ans, je la garde. Comme ça mes enfants auront un bon
souvenir.
Avez-vous pris soin de vous entourer d'un psychologue ? Car le contrecoup
risque d'être terrible dans quelques mois...
On m'a dit dans 6 mois. En effet, j'ai actuellement une très bonne psychologue !
(rires)
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