SPECIAL BIENNALE
Thierry Raspail : « Nous assistons à une réalité de la surproduction ! »
Propos recueillis par Alain Vollerin
Alain Vollerin Chaque Biennale fut-elle pour toi une possibilité de
questionner les acteurs et le public de l'art contemporain ?
Thierry Raspail - Oui. L'uvre étant une question posée à
l'art, à la poésie, à la société, au public, au politique, nous essayons
modestement de faire des synthèses.
J'aimerais que tu nous rappelles quelles furent les sujets des précédentes
Biennales ? D'abord, l'Amour de l'Art...
En 1991, lorsque la première Biennale démarre, Nous étions
dans ce que j'appelle « la fin de la rareté ». La France structurait notre
univers en centres d'arts contemporains, en musées d'art contemporain, en FRAC,
etc. L'Europe engageait le même processus. La France depuis vingt ans importait,
mais n'exportait pas. Je suis parti de cette réalité, en me disant : il y a
vingt ans, il y eut cette exposition au Centre Pompidou qui avait fait scandale
...
Oui. 1969-1972 : douze ans d'art contemporain en France, une exposition
organisée par François Mathey, à Beaubourg, représentative de la politique
protectionniste du président Pompidou ...
Vingt ans après, qu'est-ce qu'on fait ? Une Biennale en
France. C'était un pari, un risque.
En 1993, « Et, tous ils changent le monde » apportait une note d'espérance, tout
redevenait possible...
En 1993, nous étions au cur d'une réflexion sur le
post-modernisme, sur l'idée que l'art avait tout dit, etc. Mon idée, pour tenter
d'apporter une réponse, sera de repartir des avant-gardes. Voici pourquoi la
Biennale commençait avec l'aventure du Monochrome, celle du Ready-Made, de
Schwitters et des relations entre l'art et la vie.
En 1995, la Biennale évoluait autour de l'image mobile et
de l'interactivité ?
C'était l'éclatement d'Internet. Les premières uvres de
Nam June Paik, les images mobiles sur télévisions, remontaient à 1963. On était
dans les premières uvres interactives. Dans un moment, où le cinéma d'une part,
les acteurs des nouvelles technologies de l'autre et les artistes enfin se
retrouvaient autour des images mobiles, etc. Nous étions dans une phase que nous
structurions à partir d'un point de départ choisi : 1963, Vostell, Nam June
Paik, etc...
En 1997, ce fut « l'Autre », dans le contexte de la
Mondialisation... ?
Comme nous étions sur des intitulés, je souhaitais
qu'Harald traita un sujet dans l'air du temps. Harald Szeemann m'avait fait une
réponse d'autant plus favorable qu'il s'appuyait sur une expérience personnelle.
Il est germanophone, et, chez lui, dans la grammaire, c'est le neutre qui
prévaut. Il tenait à ajouter aux questionnements, un chapitre linguistique où
seraient abordés le masculin, le féminin et le neutre. C'est quoi, l'Autre,
quand on est dans le neutre ?
Trisha Donnely " Rio, 1999" © Casey Kaplan,
New-York
En 2000 , ce fut la Biennale de Jean-Hubert Martin :
« Partage d'exotisme ? »
Là, on était en plein dans les phénomènes de localisations,
de globalisations.
Avec à l'entrée, la stupéfiante pièce de Jan Favre « le Globe » recouvert
d'élytres de scarabées......
J'avais rencontré Jean-Hubert Martin en lui disant : « Il y
a eu les Magiciens de la Terre, ce fut une exposition qui fit scandale. On
t'avait accusé d'impérialisme. Aujourd'hui, de par le monde apparaissent des
artistes d'Afrique du Sud, d'Australie, d'Asie du Sud-Est, d'Afrique, etc.
C'était extraordinaire. Ce fut pour le public un véritable voyage au cur de
l'art contemporain dans le monde.
En 2001, j'avais pris le parti de travailler sur une
réalité plus artistique. Ce fut peut-être l'époque, où, dans la Biennale, nous
avons le moins réfléchi à la question de l'Histoire. Nous sommes partis d'une
réalité. C'est à dire que la question de la singularité, la situation de
l'immortalité de l'uvre d'art était dépassée.
Cette Biennale reposait sur les « Connivences »...
Oui ! L'idée qu' il y avait des ponts, des nouvelles
articulations, et qu'on pouvait se défaire de la question de la spécificité.
En 2003, avec « C'est arrivé demain », peut-on , ou
doit-on, changer de cap ?
« C'est arrivé demain » est le titre d'un film de René
Clair, tourné en 1942. Il faut montrer que nous ne sommes pas des êtres
passifs, et que nous pouvons agir sur notre monde.
Je vais jouer les provocateurs. Mais le public peut avoir l'impression,
notamment, lorsqu'il visite les expositions du Palais de Tokyo que les artistes
deviennent des supers reporters.
Aujourd'hui, l'information est très rapide. Les modes de
production sont aussi plus courts. Les biennales contribuent à ce climat. Il y a
deux biennales par mois dans le monde. La dernière est recouverte par la
suivante. C'est un peu le sentiment que nous partageons tous. Cela ne veut pas
dire qu'il n'existe plus de bons artistes. Simplement, nous assistons à une
réalité de la surproduction. C'est cela, la question de la Biennale 2003. Notre
interrogation porte sur la possibilité d'observer, d'analyser . Est-ce que, dans
ce qui est arrivé, nous avons bien tout vu ?
Certainement pas.
Il s'agit donc d'un moyen de revenir sur les événements de
ces dernières années Pour cette raison, nous présentons un nombre limité
d'artistes, de générations différentes. Nous cherchons une articulation nouvelle
des uvres. Cette biennale prétend faire une exposition, avant d'être une mesure
d'exhibition Quelle place pour l'histoire ? Pour l'actualité ? Quels sont les
artistes qui résistent ?
Je voudrais que tu nous présentes les commissaires.
L'idée en 2003, était d'arrêter cette frénésie. Il fallait
une équipe capable de questionner ce contexte, sans s'opposer. Je suis allé voir
un certain nombre de gens en Europe, en France, etc. Je ne voulais pas
construire une équipe abstraite Parmi les personnalités rencontrées figuraient
les animateurs du Consortium que je connais depuis une trentaine d'années.
Situés à Dijon, ils tentent d'exister, entre l'Institution et le Privé.
Vont-ils apporter une certaine rigueur ?
Pendant vingt ans, ils ont réfléchi à la question de
l'exposition. Qu'est-ce qu'on montre ? Quand on montre, qu'est-ce qu'on voit ?
Comment s'articulent les uvres ? Comment appréhende t-on la collection et
l'exposition ? Si un artiste expose dans un lieu autre qu'un musée que se
passe-t-il ? Qu'advient-il, si on expose des choses qui ne sont pas visibles ?
Est-ce que ce regard critique n'est pas trop sévère ? N'êtes-vous pas en train
d'opposer deux conceptions de l'art contemporain ?
Ce que je peux répondre, c'est que cette équipe de cinq
personnes est composée d'un historien d'art, Xavier Douroux qui enseigne
l'histoire de l'art, d'un second historien d'art, Robert Nickas, qui a une
vision new yorkaise. Il y a Franck Gautherot qui vient du graphisme, du livre.
Eric Troncy, une sorte de poète des formes. Anne Pontégnie est proche de cette
attitude, avec la rigueur de la jeunesse.
Yakoi Kusama " Dots obession Room, 2002" © Yakoi
Kusama
Les autres années, les artistes étaient nombreux, répondant au foisonnement de
l'actualité. Cette année, leur nombre est restreint, et ils sont associés à
d'autres, comme Boltanski .
Nous nous sommes reposés ces questions un peu oubliées :
Quand on expose un artiste, que montre t-on ? Quelle uvre présente t-on ? A
côté de quelle autre oeuvre ? Comment associe t-on les choses ? Même si le
public ne connaît pas l'origine de cette uvre, comment créer du sens ?
Combien sont-ils ?
Une cinquantaine.
Parmi eux, Boltanski ?
Boltanski, qui n'est pas un artiste inconnu ou jeune. Un
des premiers noms prononcés fut celui de Robert Grosvenor, artiste américain,
qui fit une belle carrière dans les années 60 aux Etats-Unis, à un moment, où le
Minimal art et le Land art questionnaient le monde.
Il n'obtint pas la réputation de Donald Judd.
Par exemple. Beaucoup des artistes de ces générations-là,
dans cette biennale sont comme Grosvenor. Ce sont des gens qui côtoyèrent des
grands mouvements de l'Histoire de l'art sans se fondre complètement.
Comment répartir tous ces événements pendant les quatre
mois de la Biennale ?
Il fallait trouver un rapport d'espaces, une harmonie. A la
Sucrière, au premier étage, peu d'artistes occupent le volume. On voit la
structure, mais plus on avance dans cet itinéraire qui est plutôt une promenade
constituée de méandres, plus on voit d'intervenants, et plus on oublie
l'architecture. Au Musée d'Art Contemporain, c'est l'inverse, les trois plateaux
seront dégagés. On appréhendera l'espace dans son entier, comme un paysage.
On constate la présence de très jeunes artistes...
En face d'uvres importantes comme celle de Franz West, de
Robert Grosvenor, il fallait des jeunes avec des uvres résistantes. Nous
n'avons pas retenu les gens qu'on voit partout, mais plutôt ceux qui font des
uvres à la fois différentes et porteuses d'un enjeu, comme Jorge Pardo.
Ou des débutantes comme Trisha Donnelly...
Trisha Donnelly est une très jeune artiste qu'on commence à
voir, qui a fait de la vidéo. Mais pas de la vidéo prétentieuse, avec dix huit
milles écrans, etc. Pour elle, une image, peut devenir une rumeur. Elle part du
principe que cette rumeur finira par envahir la ville.
Nous avons évoqué quelques jeunes, mais il y a aussi de vraies valeurs, comme
Pierre Huyghe, Philippe Parreno, Dominique Gonzalez-Foester etc...
Nous avions montré Pierre Huyghe, personne ne s'en
souvient, à la Biennale de 1995.
Revenons sur le programme de la Sucrière...
Il y a Dan Coombs et Mark Handforth, des sculpteurs qui
utilisent beaucoup le néon, des éclairages clignotants...Voici un de ces liens
réels, comme nous avons souhaité en établir, ici, avec Bridget Riley. Artiste
proche de la génération de Vasarely, elle a connu un grand succès dans les
années soixante, au moment où Mary Quant inventait la mini jupe, en pleine
époque du Op-Art et en présence de la musique des Who.
Evoquons un artiste défendu par Thierry Bouglé, l'animateur du Creux de l'Enfer,
à Thiers, dont on a vu l'uvre au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris.
Claude Lévêque l'auteur de « Herr Monde » Tu ne l'avais jamais présenté à Lyon ?
Non ! Je le regrette. Il s'agit d'une création, d'une
installation...
Comment envisages-tu la situation du public dans cette Biennale ?
Ce n'est pas en lui donnant des uvres digérées que le
public sera heureux. C'est peut-être, au contraire, en présentant un moins grand
nombre d'uvres, mieux associées, en leur donnant une épaisseur, c'est-à-dire,
presque une complexité.
Pour finir, évoquons cette initiative intitulée Résonance...
Je ne demande pas à « Résonance » d'illustrer le contenu de
la Biennale. Il existe à Lyon, une scène, des lieux, des énergies, des galeries,
des artistes, des expositions, comme celles du Sanzisme dans le grand Dôme de
l'Hôtel Dieu, ou du Musée des Moulages, de la Galerie des Terreaux « Rendez-Vous »
conçue par l'Ecole des Beaux-Arts et l'Institut d'Art Contemporain,,et encore,
le projet de Michel Coté, qui créent autour de la Biennale un univers
particulier, avec des gens qui signent leurs expositions. Pour 2005, il faudra
développer « Résonance », et cela, j'y tiens considérablement.
Thierry Raspail est le directeur artistique de la VIIème
biennale d'art contemporain.
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