Laurent Gerra : itinéraire d'un enfant athée
Propos recueillis par Alexandre Mathieu
Qui est vraiment Laurent Gerra ? Est-il de droite ou de gauche ? Pense-il ce
qu'il dit et dit-il tout ce qu'il pense ? Son passage aux Nuits de Fourvière
prouve que les humoristes ont une place dans les festivals : l'amphithéâtre
comble lui fait un triomphe romain dans le théâtre antique. Que demander de
mieux dans la ville de ses débuts ? Comme quoi pour Laurent Gerra : Lyon,
amicalement vôtre !
Lyonpeople : Le personnage que nous souhaiterions aborder, c'est le Laurent
Gerra qu'on connaît moins. C'est vrai qu'il y a le côté rocker, du show man sur
scène avec Johnny, la voix un peu rauque, mais en même temps vous avez un côté
conservateur... Je crois savoir que vous n'avez pas une passion pour la musique
rap qui est un phénomène de mode?
Justement j'aime bien la
musique ! (Rires). Rocker ça me fait plaisir parce que c'est un état d'esprit.
C'est ce que dit Johnny dans une de ces chansons : la Rock'n roll attitude.
C'est vrai qu'il y a l'histoire de la scène. Aimer faire de la scène, aimer être
sur la route, et en avoir un peu rien à foutre si ce n'est faire plaisir aux
gens : au public et aux gens qui pantouflent ! Sinon c'est vrai que
conservateur, éventuellement... C'est sympa, ça me fait plaisir.
C'est un peu paradoxal, parce que le rocker
est sensé être rebelle. De plus, on sent quand on écoute ou regarde vos sketches
qu'il y a un penchant pour la provoc.
C'est de la rébellion plus
que de la provocation.
Un peu Anar, non ?
Oui, mais... (hésitations)
Un anar classique
alors ?
On disait ça de Jean Yanne
et d'autres gens que j'aime bien comme Audiard. En plus c'est vrai que j'aime
bien les vieilles chansons. Comme celles de Bernard Dimey.
Ils ont sorti un excellent CD pour les 100
ans du Tour de France vous devriez l'acheter ! (Rires). Plus sérieusement, vous
assumez réellement ce côté anar ?
Guy Marchand avait donné
une bonne définition : « Je suis un rebelle bien élevé ». C'est pas mal, non ?
Je préfère être comme ça plutôt que complaisant et politiquement correct. J'aime
bien aller à contre courant, mais ce n'est pas un calcul. Il y a vraiment
beaucoup de choses qui m'énervent et ma grande joie et mon plus grand bonheur
c'est de pouvoir le dire sur scène. Hier par exemple Marc Veyrat est venu me
voir et m'a dit : « C'est incroyable comme tu vas loin ». Aller loin ça veut
dire quoi ? C'est rire; à partir du moment où la limite c'est le rire et qu'il y
a une salle qui se marre, je suis content. Mais encore une fois je ne porte
aucun étendard.
Vous ne vous considérez pas comme porte-parole d'une génération qui se rebelle ?
Non, parce que je ne suis
d'aucune génération. D'ailleurs ça se voit bien dans mon public, il y a vraiment
de tout.
Ca, c'est pour le classique. Revenons sur le
provoc que vous avez l'air assumer. Vous aimez bien dénoncer certaines choses,
mais vous tombez parfois dans la facilité. Comme quand vous tapez sur le Pape,
par exemple.
Hé, ce n'est pas facile ! On est quand même dans un pays catholique. Moi je
trouve ça courageux.
On est surtout un pays démago ! Reconnaissez
que vous voulez surtout faire hurler la bourgeoise du coin.
Non, ça la choque. Et ça
fait rire grassement une tranche de la population qui me dit en voyant le saint
Père trembler et faire l'otarie place Saint Pierre : « tiens on a pensé à vous
on a vu le Pape » !
Vous vous vengez des heures de catéchisme
qu'on vous forçait à faire quand vous étiez petit ?
Pas du tout je ne suis pas
baptisé, je n'ai pas fait ma communion et je suis un anticlérical de base. Je
suis athée, surtout. Mais que ce soit n'importe quelle religion, j'essaie
d'équilibrer les vacheries. Quand des gens me disent (il imite une voix de
grand-mère) : «Ah! Vous n'allez pas faire ça avec un imam ou un rabbin», je
réponds toujours que c'est parce que la religion catholique est dominante en
France. Donnez-moi la voix du grand rabbin et je veux bien l'imiter !
Il y a pourtant une catégorie de personnes
qu'on ne vous a pas souvent entendu critiquer, c'est une certaine presse. Toutes
les icônes du prêt à penser comme PPDA ou autre.
J'en parle dans le nouveau
spectacle, mais vous ne l'avez pas encore vu ! Les Pipo et Mario de
l'information... Il y en un que j'aime bien, mais malheureusement il n'est pas
assez connu. Je ris beaucoup en le voyant, mais pas au degré auquel il voudrait
être perçu, c'est Vincent Delerm. Il y a quatre personnes qui font la nouvelle
génération post Trenet avec des musiques de manouche : Sanseverino, qui est pour
moi tout ce qu'il y a de plus démago, Thomas Fersen, Benjamin Biolay et la
couronne revient à Vincent Delerm.
En plus ma grand-mère l'adore ! Ce sont tout
de même des phénomènes culturels, vous ne vous considérez pas comme tel
également ?
On ne nous reçoit pas souvent dans les centres
cul, les CAC ! (Centres d'Actions Culturelles). L'intouchable m'ennuie, comme
pour les rappeurs. Aujourd'hui on ne peut pas se moquer des rappeurs car il y a
des gens qui disent que celui qui n'aime pas les rappeurs n'aime pas les Arabes.
C'est là que l'amalgame est aberrant. C'est un phénomène de mode comme vous le
disiez tout à l'heure, et mon truc c'est de me moquer de ce qui est à la mode.
Que ce soit Vincent Delerm, le rap ou le foot. Pendant la coupe du monde on a
fait une émission et une chanson à ce sujet.
En fait vous ne tirez que sur des cibles
faciles ?
Non, dans ce cas je me moquerai de Mireille
Mathieu. Je suis tributaire de l'actualité. Je m'en sers et ça apporte de l'eau
à mon moulin. Mais c'est vrai qu'il y a des choses qui m'énervent plus que
d'autres. On annule les Francofolies de la Rochelle et les concerts de la Star
Academy se produisent partout en France.
Vous en parlez aussi dans votre nouveau
spectacle ?
Evidement !
Ce n'est pas plus facile de se moquer de la
Starac que d'un rappeur ?
Ce n'est pas facile de se moquer de ce qu'on
subit. C'est jouissif ! (Rires) La limite c'est que ça fasse rire. Je me suis
moqué d'Amélie Poulain. Et là on s'aperçoit qu'il y a pas mal de gens qui n'ont
pas osé dire qu'ils avaient trouvé ça chiant parce qu'ils avaient peur de
n'avoir rien compris. Alors qu'entre nous, il n'y a pas grand chose à comprendre
sur Amélie Poulain... l'andouille de Montmartre avec sa coupe au bol, son air
niaiseux et sa petite cuillère (Rires).
Comment choisissez-vous vos thèmes, par
impulsion ?
Je ne choisi pas mes thèmes, ils viennent à moi...
D'accord mais il y a bien un moment ou vous
devez sélectionner les thèmes qui viennent à vous ?
Oui, mais l'actu va très vite et je suis amené à
changer des trucs en cours de route sur mon spectacle. Il y a eu une guerre
entre temps donc j'ai fait une chanson sur la guerre à la manière de Renaud, il
y a eu une grève des fonctionnaires, on en a aussi parlé.
Qu'essayez-vous de faire au juste, d'aider
les gens à réfléchir ?
Je n'essaye rien du tout. Je m'amuse et j'espère
que le public s'amuse avec moi.
Que vous le vouliez ou non, vous véhiculez un
certain message qui est une alternative à la bien pensance.
Je n'aime pas le terme véhiculer parce que
Bruel m'a dit un jour : « tu ne peux pas véhiculer une image de moi comme ça ».
Donc j'emploie maintenant ce mot en faisant Patrick Bruel (il l'a fait pendant
le spectacle NDLR). Ce que je dis là, je ne devrais pas, parce que couché sur le
papier ça ferait donneur de leçon. Dans un article ça peut paraître très
violent, alors que si c'est sur scène avec un sourire, une voix, c'est pas
pareil. En plus on s'en fout de mon avis ! Pendant deux heures ça fait du bien
aux gens que je dise du mal sur tout le monde, très bien, mais que j'aille dans
la presse me répandre en disant que je n'aime pas un tel ou un tel...
C'est vrai que sorti de son contexte, ça n'a
plus d'intérêt.
Il y a cinq ans avec Jean-Jacques Perroni, mon
collègue avec qui je bosse, on disait : Canal +, la chaîne des beaufs qui
croient qu'ils n'en sont pas. Tout le monde m'a demandé ce que j'avais contre
Canal + qui était considérée comme un concept novateur ; pour moi ce n'est que
deux heures de création en clair entrecoupée de pub sur une chaîne cryptée. Le
reste c'est des films, du foot et du cul. L'idée de l'Esprit Canal m'agace un
peu. A quelqu'un qui m'a demandé un jour ce que j'avais contre Canal, je lui ai
répondu « je n'ai rien contre, je fais partie des 56 millions de français qui ne
regardent pas ». Ca ne veut pas dire que c'est mieux de regarder TF1 !
Vous cherchez quand même un peu les failles
des gens ?
Un peu ! Mais même inconsciemment. Je ne regarde
pas la télé normalement ! Des reproches, j'en ai toujours eu. On m'a dit que
j'étais homophobe parce que j'ai fait un sketch sur Delanoë. Il a fait un
bouquin, il en parle. Je n'ai pas à me justifier sur ce que je fais. Que ce soit
pour Patrick Bruel ou autre. Je suis sur scène, ça fait rire, il faut mettre ce
que je dis dans un contexte d'humour. Et ça serait mettre dans un ghetto les
gens que de ne pas s'en moquer. C'est valable pour les rappeurs, les
homosexuels, etc.
En ayant cette attitude, vous n'avez pas
l'impression qu'une partie de la population qui refuse le politiquement correct
se retrouve en vous ?
Je ne sais pas ! Je suis très heureux de ce qui
m'arrive, que les gens viennent rire de mes bêtises.
Comment s'est passée votre collaboration avec
Johnny pour votre duo dans sa tournée des stades ?
Si on m'avait dit quand je suis parti de Lyon
que je chanterais avec lui, je pense que je n'y aurais pas cru! C'est un rêve de
gamin. Mais c'est vrai que j'ai vraiment eu des frissons, surtout le deuxième
soir. C'est un grand pro, un grand chanteur et un vrai artiste, quelqu'un
d'intelligent et de généreux. C'est du vrai spectacle.
Et pour finir, un mot sur Lyon ?
J'adore Lyon. En plus je suis du coin et c'est
là que j'ai débuté. Je suis à chaque fois très ému de revenir sur scène ici.
J'ai des très bons souvenirs, comme au Théâtre des Célestins ou une mamie est
partie en claquant la porte suite à un sketch sur l'Eglise. On aurait voulu le
faire exprès, on n'y serait pas arrivé !
Les premières fois de Laurent Gerra
1967 : Naissance le 29 décembre 1967 à 10h30 à Bourg en Bresse.
1987 : Premières scènes dans un théâtre de poche lyonnais alors qu'il est encore
étudiant.
1989 : Première télé dans l'émission de Philippe Vorburger « Casino des As »,
diffusée sur TLM.
1994 : Premier prime time Michel Drucker dans "Studio Gabriel".
1999 : Premier coup d'éclat : apparition TV juste avant les voeux du président
de la république le 1er janvier 99. La presse du lendemain relate
très faiblement le discours présidentiel officiel mais parle en long et en large
de celui de Laurent Gerra.
2003 : Tournée des stades avec Johnny Hallyday.
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