Les colères contenues de Tom Mc Rae
Propos recueillis par Matthieu Leman
Mercredi 26 novembre, le transbordeur
accueillera la tournée acoustique de Tom Mc Rae. Issu de la grande tradition des
songwriters, le jeune musicien anglais de vingt-huit ans sera accompagné sur
scène par un piano et un violoncelle. L'occasion d'entendre les ballades
délicates de son premier album éponyme, paru en 2000, et du suivant « Just like
blood » sorti au début de cette année. Rencontre avec un artiste romantique « en
colère ».
Vous allez bientôt entrer en scène. Dans
quel état d'esprit vous trouvez-vous ?
Tom Mac Rae : Excité...
Nerveux... Espérant que lorsque je vais jouer
mes chansons quelque chose de spécial va arriver, que je vais communiquer avec
le public, que lui-même communiquera avec moi. Que ce jour sera particulier.
C'est ce que j'espère pour tous les concerts, que ça dépasse le simple fait que
des gens écoutent jouer quelqu'un sur une scène.
Vous avez déclaré que les groupes qui disent
qu'être en tournée est ennuyeux sont pour vous ridicules. Pensez- vous toujours
cela ?
Oui, parce que si tu n'aimes pas ça, tu n'as
pas à t'en plaindre car ce n'est pas un vrai travail, c'est un privilège. Tu as
des jours un peu difficiles, où tu es fatigué ou malade et tu dois quand même
monter sur scène. Mais c'est toujours excitant et exaltant, même dans les lieux
où tu as déjà joué. C'est une manière d'appréhender la vie.
Vous avez le temps de découvrir les villes
où vous vous produisez ?
Pas beaucoup... Parfois. Je ne connais pas
particulièrement la France, mais je connais plusieurs villes :Paris, Toulouse,
Tours, les villes où je suis allé plusieurs fois. C'est la même chose pour
New-York ou Los Angeles, où j'ai pu avoir quelques jours de libres.
Votre tournée française comporte douze
dates. Comment expliquez-vous votre succès ici ?
Je ne sais pas exactement. Mais je crois que
c'est parce que le public français est unique et différent des autres. Il est
ouvert à beaucoup de formes de musiques. Il ne laisse pas MTV, les radios ou la
presse lui dicter ses goûts, il choisit ce qu'il aime. Je ne suis pas une grande
star mais le public est là, très fidèle et respectueux. J'ai de la chance.
Croyez-vous qu'un lien particulier vous
unit au public français ?
Oui, je pense. Parce que c'est en France que
mon album a marché en premier. Je me suis retrouvé avec plus de fans ici que
partout ailleurs. Maintenant, ça a pris dans beaucoup d'autres pays, mais quand
je reviens en France j'ai l'impression de rentrer à la maison car c'est
l'endroit où j'ai été accepté en premier.
Pourtant, si les français sont connus pour
être romantiques, vous vous définissez sur votre site comme un « salaud sans
cur ». C'est un peu paradoxal, non ?
(Sourire). Oui, c'est vrai en partie.
Maintenant, si tu es un artiste, un bon artiste, tu es forcément romantique de
nature. Mais tu dois aussi être désinvolte et distant. Avoir, comme le dit l'un
de mes auteurs préférés, Graham Greene, de la glace dans le cur. Avoir
suffisamment de recul pour observer les choses en même temps que tu les reçois.
Je ne suis pas sans cur, j'en ai un grand et suis incroyablement romantique. Je
me passionne pour beaucoup de choses, mais je peux aussi être froid et distant.
Vous avez également déclaré : « Pour me
résumer, je dirai que je suis en colère, en colère, en colère, en colère et
fatigué » Pourtant, votre musique est calme et douce. N'est il pas plus évident
d'exprimer sa colère au moyen de guitares saturées et de rythmiques appuyées ?
Je trouve que les choses les plus effrayantes sont celles auxquelles on ne
s'attend pas. Par exemple, si tu vois au cinéma une brute crier, transpirer et
agiter une batte de base-ball, ça peut te faire peur. Mais si tu vois Robert De
Niro ou Christopher Walken parler doucement, poliment et tranquillement, c'est
encore plus effrayant parce que tu ne sais plus où tu es et à qui tu peux faire
confiance.
Contre quoi êtes-vous en colère ?
J'adore avoir une bonne raison d'être en
colère. J'en ai plein ! L'état de la planète, l'injustice des systèmes
politiques, la situation désespérée du tiers-monde, ma ville, Londres, qui tombe
en pièces, le gouvernement anglais, le fait que je ne puisse pas m'offrir de
nouvelles chaussures... J'en ai une liste entière, du plus important au moins
important. La raison est que j'ai ça dans le sang. Je suis né en colère et
mourrai en colère.
Ce qui fait de vous un artiste.
Oui.
Et quelle est la dernière chose qui vous
ait mise en colère ?
La dernière chose qui m'a vraiment emmerdé est
mon ordinateur portable. Il a décidé de ne pas fonctionner, encore et toujours.
C'est très frustrant quand tu es sur la route et que tu enregistres. Ca
t'empêche de pouvoir continuer à travailler. Ca m'a vraiment mis hors de moi
mais finalement c'était pas si important. En fait, je ne me suis plus vraiment
mis en colère depuis la venue de Bush à Londres.
Je trouve votre musique très proche dans sa
sensibilité de celle de Mark Hollis, l'ancien chanteur de Talk Talk. Vous
sentez-vous proche de lui ?
Oui, absolument. Pour moi Mark Hollis est l'un
des grands génies de la musique. J'adorais Talk Talk, leur approche de la
musique. Ils avaient de grandes chansons mais aussi un son très intéressant qui
créait une atmosphère très forte émotionnellement. Oui, j'ai vraiment un grand
respect de longue date pour Mark Hollis.
Y a t il d'autres musiciens qui vous
touchent ou vous inspirent ?
Je suis toujours inspiré par ceux qui peuvent
écrire de belles chansons, simples et fortes, sans avoir besoin d'arrangements.
Des gens comme Bob Dylan, Bruce Springsteen ou Catpower, dont j'adore la voix.
Ceux qui marient simplement de bonnes paroles à une jolie musique.
Quelle est pour vous la plus belle chanson
jamais écrite ?
Hum, ça change tous les jours... Je pense que ce
pourrait être « Waterloo sunset » des Kinks. Mais je pourrais t'en citer
d'autres pendant des heures.
Où trouvez-vous l'inspiration ?
(Il étend les bras) Partout. Si tu n'es
pas inspiré par tout ce qui t'entoure, les bonnes comme les mauvaises choses,
les plus ennuyeuses comme les plus intéressantes, alors tu n'écriras jamais
rien. Tu dois faire attention à rester ouvert et te nourrir des livres, des
films, des musiques, de l'Art... Tu dois garder les yeux ouverts en permanence.
Des rencontres également ?
Oui, il faut parfois explorer toutes les
directions et ne pas attendre que l'inspiration vienne. Tu dois aller la
chercher en voyageant, en rencontrant des gens, en prenant des risques
personnels et artistiques.
Qu' est ce que le 11 septembre a changé
chez vous en tant que citoyen ?
J'ai été comme tout le monde terriblement
choqué et horrifié qu'un événement comme ça arrive. Ca m'a fait peur. Mais d'un
autre côté, j'ai réalisé que les choses les plus importantes étaient les plus
simples. Comme la famille, les amis, l'amour. Tous ces clichés dont t'as pas
forcément envie de parler, mais la vie c'est quoi si ce n'est qui tu aimes et
qui t'aime ?
Et en tant qu' artiste ?
En tant qu'artiste, je me suis posé la
question de savoir si les gens avaient besoin de mes chansons tristes, s'il n'y
avait pas suffisamment de drames pour ne pas les déprimer d'avantage. (Sourire).
Mais je n'ai pas hésité longtemps car je crois que mes chansons sont le reflet
de ce que vivent beaucoup de gens. Elles ne sont pas que tristes. Elles sont
pleines d'espoir, joyeuses et mélancoliques parce que la vie est une combinaison
de tristesse et de beauté.
Vous avez déclaré que vous préfériez déranger
votre public plutôt que simplement le divertir. Pouvez-vous m'expliquer
pourquoi ?
Parce qu' il y a tellement de divertissements
de surface, qui n'apportent rien d'autre que l'idée même que les gens se font du
divertissement... Comme ces films qui doivent comprendre des explosions et une
scène de sexe, ou ces musiques qui doivent être en dessous de 20 bits par
seconde et utilisent toujours les même recettes. J'aime défier mon public comme
j'aime être mis au défi moi-même. Qu'il se demande si je suis dans le vrai, si
je fais les bonnes choses. Qu'il se pose des questions.
Que voudriez-vous que le public qui vient
vous voir garde en mémoire ?
Qu'il essaie de taper des mains en rythme.
C'est tout ce que je demande . (Rires)
Et en sortant de votre concert ?
Ce n'est pas à moi de dire ce qu'ils doivent
garder en mémoire. Je suis juste là pour lui jouer mes chansons. Ils peuvent
emporter ce qu'ils veulent. Un bon moment entre amis, le souvenir de paroles ou
d'une mélodie... N'importe quoi qui les aura un peu changé, qui les aura rendu des
personnes un peu différentes.
Pas de message donc.
Aucun message. Prenez la musique, servez vous
en, faîtes en quelque chose. Car être dans le public, c'est aussi un acte
créatif. Assister à un concert, c'est beaucoup d'engagement.
Etes-vous frustré par le fait que le public
français ne comprenne pas toujours vos paroles ?
Je crois qu'il comprend exactement ce que je
chante même s'il ne comprend pas une seule parole. Parce que la beauté de l'Art
est de transcender toutes les barrières de langue, race et religion. Il s'agit
d'émotions. Et s'il ne comprend pas l'émotion dans les chansons alors nous
sommes tous perdus. Mais tu sais, je comprends les chansons en français si elles
sont bonnes. Et quand j'écoute Radiohead, c'est de l'anglais et pourtant je
comprends pas un mot de ce qu'il dit. Mais je ressens l'émotion.
Dans « End of the worls news », vous semblez
être très pessimiste pour l'avenir. Croyez-vous que les rêves et l'imagination
sont en danger dans nos sociétés ?
Hum... Je crois que ça rend les choses plus difficiles. Les
gens doivent protéger leurs rêves et travailler plus dur pour survivre dans ce
monde où tout est voué à l'instant et où on est gavé d'informations. On est
poussé à tout placer au même niveau alors qu'on ne devrait se concentrer que sur
quelques sujets. Mais les gens survivent, la musique survit, l'amour survit.
Toutes les choses importantes survivent.
Croyez-vous qu'une histoire d'amour est
condamnée dès sa naissance ?
Oui, je crois. Une des choses dont j'ai conscience dans ma
vie comme dans ma musique, est que chaque moment contient en lui-même son
opposé. Donc, si tu tombes amoureux, tu sais que ça durera pas. Si tu es
heureux, que tu seras bientôt triste. Parce que le vie est faite comme ça. Et
puis même si tu restes amoureux toute ta vie, un jour tu vas mourir. C'est dans
la nature des choses qu'elles se transforment ou meurent. Mais je ne crois pas
que ce soit mauvais. Ca fait partie de la beauté de la vie.
Avez-vous déjà prévu la sortie de votre
prochain album ?
Oui mais je ne sais pas si ma maison de disques sera
d'accord. J'espère qu'il sortira en septembre prochain. J'ai déjà écrit
plusieurs chansons.
Vous allez participer à un concert d'Alain
Bashung. Comment l'avez-vous rencontré ?
Je ne l'ai jamais rencontré. Je connais certaines de ses
chansons et j'ai fait une reprise d'un de ses titres. J'aime ce qu'il fait mais
je peux pas en dire beaucoup plus...
Il y a pourtant des rumeurs qui annoncent des
surprises lors de ce concert.
Les surprises seront pour moi alors parce que je ne suis au
courant de rien ! (Sourire). Ce sont sans doute des rumeurs nées à la suite de
ma reprise de « La nuit je mens ». Mais on n'en a pas parlé et c'est son
concert, je fais juste sa première partie.
Peut-être un duo ?
Oui, s'il m'appelle je le ferai.
Pour finir, connaissez-vous d'autres artistes
français ?
Oui, j'en connais quelques uns. Parmi les plus évidents,
j'aime Serge Gainsbourg, Noir Désir, Keren Ann, Yann Tiersen, des gens comme ça.
En fait, j'en connais peu . A part ceux que je rencontre dans les festivals
comme Manu Chao, Tahiti 80, Air, Daft Punk...
Vous avez appris pour Bertrand Cantat ?
Oui, c'est triste... Terrible pour lui, pour elle... C'est une
histoire dingue. Même les journaux anglais en ont parlé.
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