Mario Gurrieri
: « Dans mon HLM ! »
Photos © Jean-Luc
Mège
Par Nadine Fageol
Très old school, le
photographe des stars a ses entrées au Festival de Cannes. Dans son appartement
de Bron, il possède l'une des plus fabuleuses photothèques consacrées au cinéma
et à l'OL. Souvenirs, souvenirs.
Dalida
en tenue de gala à faire pâlir Madonna, le ténébreux Mike Brandt
sur scène, des photos de Sophie Marceau plus qu'elle n'en possède, les
Beatles à leur descente d'avion à l'aéroport de Lyon Bron, Michael Jackson,
Indochine, Cure, mais encore à peu près toutes les stars ayant grimpé le
mythique escalier du Festival de Cannes. Cette photothèque n'appartient à aucun
musée, pas même à l'Institut Lumière. Non, c'est l'uvre de Mario Gurrieri,
petit par la taille et passe muraille. Où il veut aller, il entre. Presque
l'archétype du brave gars que l'on retrouve dans une immense barre de la
banlieue lyonnaise, toute blanche, de celle que l'on fuit. Lui dit, « 40 ans
que je suis là, j'aime bien ici ». Un vaste hall, ici comme souvent ailleurs
le jardin intérieur est à l'abandon. Quelques étages plus hauts, à peine la
porte franchie que l'on se retrouve confiné dans son studio, longue pièce
étroite de l'appartement. Son antre réservée comme une chambre d'ado où la déco
n'a plus droit. Un adorable autographe de Sophie Marceau accolé sur un portrait,
des peluches en pagaille pas du meilleur goût. Il rit.
Certains ont pris l'habitude de le remercier, faute de le
rémunérer, à la va-vite. C'est qu'une partie de l'extraordinaire histoire de
Mario est due à sa gentillesse, son affabilité. « Mario, une photo ! ».
On hèle Mario pour être dessus, on le rappelle pour l'avoir et il donne sans
compter. Il achète son matos à crédit et fait contre mauvaise fortune, bon cur.
Une enfilade d'armoires dépareillées, surmontées d'une collection de maillots de
l'OL. Son dada, son chouchou, il fréquente le banc des photographes du stade
Gerland depuis 1959 et rêve de faire un livre retraçant 45 ans de vie
olympienne. Dans un empilement de chemises cartonnées jaunies, le meilleur est à
venir. Ses archives ruissellent de trésors, les yeux de biche d'une Sylvie
Vartan à croquer, Johnny dans toute la beauté de ses 20 ans quant il
faisait la première partie de Los Machucambos. La mémoire vivace, il cite noms,
lieux, concerts, films, balise le contexte. Connu comme le loup blanc, il est
devenu l'ami des stars, les vraies, celles du cinéma. Toutes ont posé pour son
album personnel. Ici Mario avec Isabelle Adjani, avec Brigitte
Bardot, avec Monica Bellucci, avec Cyd Charisse, avec
Harrison Ford, avec Bébel, avec Klaus Kinsky, avec « voudy »
Allen, avec Sophie Marceau qui le protège. Il a fait sa promo quand
personne ne voulait de « La Boum » à Cannes. Elle lui a rendu hommage en lui
faisant attribuer par la presse la « plume d'or », trophée des photographes du
festival !
Autre book celui de ses accréditations, un bon millier.
Délirant. Il est et a été de tous les concerts, des soirées NRJ, des César, du
Festival de Deauville... Le photographe sicilien volubile est un laissez-passer
vivant. On parvient à faire asseoir le bouillant bonhomme dans un fauteuil du
salon, une pièce hors du temps desservant chambres, cuisine, terrasse, autant de
portes diminuant les possibilités d'aménagement. Les Gurierri lui ont donné une
âme tranquille un peu comme dans un feuilleton de Maigret, les murs abricotés
peuplés de natures mortes, d'un acier gravé de Mick Michel, confiturier
et enfilade impeccablement cirés, deux fauteuils souples invitent à la sieste.
Mario raconte avoir quitté l'école tôt dans sa bourgade tunisienne, aucun
intérêt. Projectionniste au cinéma du coin, ça c'était le paradis. Il travaille
encore dans un petit laboratoire aussi quand la famille s'installe à Tunis, il
se lance dans le « photo-stop », shoote les passants et leur refile un ticket à
échanger quelques heures plus tard contre le cliché. Le numérique n'existe pas
et la photo industrielle balbutie. L'indépendance tunisienne pousse la famille à
rejoindre Marseille ; Mario reprend le « photo-stop » de plus belle, file à
Nice mitrailler pendant le carnaval installé à côté du pharmacien Mercier, papa
de la marquise des Anges, puis remonte jusqu'à Cannes, son premier festival,
version rues en 1958.
Nouveau départ, la famille s'installe à Lyon. Mario obtient
de la mairie une autorisation pour exercer rue de la Ré de 14h à 17h. À raison
de 200 photos quotidiennes, il gagne 150 F par semaine. Il devient pigiste au
Progrès, rencontre Renée à La foire de Roanne, l'épouse et l'installe
dans l'appartement de Bron. En bonne femme de sicilien carrément jaloux, Renée
n'a pas le droit de travailler, donc Mario turbine de jour comme de nuit. Avec
l'ouverture du Palais d'Hiver démarre une vie insensée, il suit les
artistes : spectacle du Palais d'hiver puis étape à la Maison Dorée
place Bellecour ou au Broadway cours Lafayette, les deux music-halls en vogue.
Chante avec Becaud ou Dalida, c'est que Mario donne aussi dans la
chansonnette romantique italienne, accompagne Brel au Royal, passe
la journée complète du 20 juin 1965 avec les Beatles. En 1974, il refait surface
au festival de Cannes et ne le quittera plus jamais. L'anti-paparazzi est chez
lui, Mario est une tombe, ne raconte absolument rien sur ses sujets, pas l'ombre
d'un scandale, d'une coucherie, d'un excès. Nothing, nada, niet ! Mario
photographie et se fait photographier la main sur l'épaule de Sharon stone,
a tous les droits sur la horde de photographes et transforme les toilettes du
bunker en chambre noire pour envoyer au plus vite les clichés à Nice Matin
et à La Revue du Cinéma.
Voilà la vie de l'homme qui aime les stars, lesquelles
parfois donnent du bonus à ses rêves. Invité à un grand raout sur une île,
imaginez Mario en chanteur de charme debout sur une table avec pour choristes
Fellini, Mastroianni, Jane Fonda, Eddie Constantine,
Anita Ekberg... Renée son épouse rentre, gentille, elle s'installe en retrait
sur une chaise sans perdre une miette de la conversation, le raille parfois,
commentant les clichés sans les voir. À la question qui est sa star préférée,
sans hésitation, il répond la famille, il en pince grave pour sa petite fille
et... Sophie Marceau. À pareil personnage, Raymond Barre a attribué la
médaille de la Ville de Lyon, il possède celle de Bron, au printemps prochain
Gérard Collomb va lui refiler encore la médaille de la ville de Lyon. Le 26
mai Mario fêtera ses 70 ans, 55 ans de photos et aura sa petite expo à Cannes.
Et si Lyon lui offrait une rétrospective à Mario ? Ça changerait des nounours et
autre peccadille.
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