L'antre du Viking
Photos © Jean-Luc Mège
Par Nadine Fageol
Jean Louis Manoa,
restaurateur blond furieusement émancipé, ne fait que ce qu'il veut, adore ses
copains acteurs et mitonne des dîners endiablés dans sa maison blindée. Son
regard bleu glacier un rien goguenard et sa tignasse blonde échevelée lui valent
son surnom de Viking. Mérité.
Habillé d'une peau de bête, le bonhomme serait bien capable
de vous faire trois épisodes de « L'adaptation du Viking en terres lyonnaises».
Manoa est un personnage options grande et fine gueules. Il a trouvé abri dans
une maison de maître en bord de Saône à Fontaine à la croisée de ses chemins
professionnels, Les Planches et la rue Mercière. Une maison comme on aime, au
parc hélas rabougri en jardin faute à l'emprise immobilière, spacieuse du début
du XXe siècle à ceci près qu'elle fut l'atelier d'un artisan joaillier. Portes
et fenêtres archi-blindées et s'il égare les clés, il n'aura plus qu'à raconter
« comment j'ai creusé un tunnel dans ma cave pleine de barriques sans
déboucher dans la Saône ». Pour aller récupérer Albert le chat, parti se
nettoyer les pattes après une visite dans la cocotte du coq au vin, il faut
tourner une longue clef dans une porte monumentale. Un autre monde, plein de
bonne humeur, limite foldingue, les invités se relaient pour gribouiller leurs
émotions dans les toilettes. Uniquement. Un vieil adage déclare, « tel chien,
tel maître », la maison de Manoa est à l'unisson ; classique elle a dévié bobo
baroque.
Il a besoin d'espace; enfant, Manoa a été élevé au grand air chez un
père restaurateur à Villié Morgon. Élevé à la dure, tout petit, il tombe non
pas dans la marmite « mais dans la plonge ». De quoi vous refiler une
allergie au vaisselier. Certificat d'études en poche, il taille la route, « je
ne sais pas si c'est la famille qui était insupportable ou moi ». Huit mois
d'apprentissage en pâtisserie pour convenir que « les gâteaux, ça ne me
plaisait pas du tout ». Bis repetita dans les cuisines de la mère André
à Tassin cette fois et CAP validé dans un amphithéâtre sis dans l'actuelle
maternelle place des Jacobins. C'est mieux, seulement le loustic qui ne manque
pas d'air se définit comme « feignant brillant » avec pour heureuse
conséquence que sa vie sera « une éternelle récréation ». Et Manoa
d'écarter allègrement l'étape « resto gastro avec médailles et lauriers»
pour poser ses guêtres et sa verve rue Mercière.
Dans son tripot hors mode avec traboule, il mitonne de la
lyonnaiserie plus ou moins évoluée quand ça lui chante, un jour bourru, le
lendemain hilare. Berry, Reno, Garcia, Diefenthal,
Timsit... le monde du cinéma en fait sa guinguette intra muros. C'est qu'au
Mercière le magnum de vin n'est jamais bien loin étant donné que les amis ont
table ouverte à vie. Son amie Pascale dit, « c'est un homme de
rencontres ». Marque du destin, la plus belle fait irruption dans la cuisine
par poste TV interposé. En plein entretien, Philippe Léotard jeune et
beau ne cesse de conter fleurette à Marlène Jobert. Les souvenirs
abondent, la rencontre avec Nathalie Baye sur la cantine « D'une semaine
de vacances », la 4L, son fiancé, Philippe Léotard racontant à notre chef les
batailles napoléoniennes jusqu'au bout de la nuit ! Un Léotard qui accueille
Manoa au lever avec des fleurs. « Je regrette encore ce bouquin que l'on
devait faire qui s'appelait Le Palais ».
Pascale revient avec un trésor, des
pages sur lesquelles l'acteur tourmenté a dactylographié une prose devenue
touchante par la force des choses : « Un mien ami vivait au fond du
Beaujolais... Que mange-t-on ici ? Que met-on dans les fours ? Qui fait rougir les
joues et le nez des humains ?... Oublions les assiettes ; nous en étions là.
Patiemment mon ami tirait sur ses moustaches... ». Il semble que quelqu'un
manque à la table ; Manoa bascule en touche par un aveu, « nous étions tous
amoureux de Nathalie Baye ». Soudain jusque-là plutôt discret l'ami Roger
fait hurler de rire l'assemblée en répondant au portable, « comment il est à
Ibiza, il n'est plus en prison ? ». Par la suite le restaurateur mondain
ayant sévi à Saint Trop, Ibiza, Los Angeles et Saint Domingue va se révéler
intenable en pitre follasson...
Revenons-en à Manoa ; bricoleur, il a refait une partie du beau sol à motifs en
carreaux ciment. C'est encore un chineur, peu de meubles si ce n'est des buffets
de récup, un meuble de marchand en guise de séparation dans la grande chambre
blanche. De jolies tablettes Art-Déco dans l'entrée. Adepte de la Fiac, Manoa a
un faible pour les artistes maudits, surdoués, fauchés... À commencer par cette
immense branche fleurie qui traverse la cuisine, production de Vincent Girard,
deux toiles de Jim Léon, le peintre naturaliste à la sensibilité
exacerbée. Curiosité, la production de Pénélope, touche à tout touchante
qui a laissé ici une toile bleue greffée de vrais barreaux... Des choix trahissant
les coups de cur, la spontanéité du gaillard probablement mécène à ses heures.
Dans sa cuisine dominée par un fourneau dressé en îlot rouge, il s'interroge sur
l'identité de la cuisine actuelle. « Confusion ou fusion totale ? ». Son
maître à penser restera probablement Alain Chapel, mais il est revenu
tout chose de sa virée chez El Bulli, l'Espagnol Adria Ferran
régénérateur gastronomique aux manières de chimiste. Cela dit, le monde plus
complexe du vin à ses faveurs. « La dégustation d'un Ausone 1990 a été un
choc », et de pousser à la surenchère « Vendons Pétrus, achetons Ausone ».
À sa table une intrigante carafe, il s'agit de l'Ovarius,
genre de théière transparente « qui intensifie les défauts ou les qualités du
vin » fruit de l'imagination d'une rencontre encore, Michel Patois,
étiomédecin de sa personne. Curieux de tout, Manoa suscite intérêt et évidemment
propositions professionnelles. Quand Ancel lui a donné les clefs du futur
Plato, il a installé Pierre Molin, solide garçon qui « pérennise
l'affaire en bon père de famille ». Depuis le 15 décembre, il gouverne seul
les Planches. On lui parle alors du passage d'un couple de journalistes peu
ravi, il rétorque sincère : « Je ne peux pas laisser dire ça. J'ai 50
personnes autour de moi, des humains pas des machines. Est-ce que ceux qui
critiquent font du cristal ? Depuis deux ans, je cherche à améliorer la qualité
après la politique de terre brûlée conduite en 2003, j'ai ramé en 2004 pour
redorer et 2005 a connu le meilleur travail qui ait été donné aux Planches
depuis l'ouverture ». Consulté pour gérer le pôle cuisine du tout nouveau
Life Can Wait, Jean Louis Manoa a décliné, guidé par une envie de prendre du
recul suite à des problèmes d'ordre personnel. Des fois, il faut savoir faire
table rase, même Manoa le sait.
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