Fabien Chalard en
pleine ascension
Photos © Jean-Luc Mège
Par Nadine Fageol
En moins de quatre ans, ce
jeune trentenaire est passé du statut de cadre parisien overbooké pour
s'affirmer comme surprenant créateur de lieux nocturnes. Virage négocié avec
passion et force rigueur.
Exception faite que ses établissements, le Comptoir de
la Bourse et le Bar, font parler de lui en bien et lui attire des
demandes d'association à profusion, à priori il n'y a rien à dire sur Fabien
Chalard. Tout simplement parce qu'il ne faut pas sortir de Saint-Cyr pour
observer que ce garçon de tout juste 31 ans affiche un caractère déterminé tout
en restant d'une correction quasi exemplaire dans un milieu où les patrons
caractério-illumino-vulgaires font flores. À le regarder évoluer depuis trois
ans, on a pu découvrir un bosseur acharné s'affirmant comme le nouveau créateur
de concept de la nuit lyonnaise section bar hype. Michel Barthod
longtemps géni de la place a trouvé son successeur, la gestion en plus. Car
Chalard, c'est du sérieux plutôt quarante-douze fois qu'une. Point fort, un
entourage familial dénué de carence, solide dans l'affection. Selon la volonté
parentale, Fabien va à bonne école ; Saint Thomas d'Acquin, prépa HEC aux
Chartreux et École de commerce à Paris. Pareillement formaté, il négocie
naturellement un stage dans une de ces « world entreprises » pour devenir cadre
de haut vol doré sur tranche. Quatre ans passés chez KPMG Consultant et
stratégie financière, réorganisation et planification d'entreprise n'ont plus de
secret pour lui. La carrière est toute tracée, job hyperactif, du fric, la belle
vie parisienne... Seulement le stress ambiant et une indigestion amoureuse le
ramènent à ses envies de jeunesse. La restauration, il avait dans l'idée à
l'époque de rejoindre l'école hôtelière de Lausanne. Mais le père soucieux du
devenir de sa progéniture, évoquant un secteur bouché avait proféré en faveur
d'une formation plus solide ! N'empêche qu'à Paris, Fabien commence à fomenter
un gros projet avec une amie finalement sans suite.
Loin de céder, l'oiseau Fabien réintègre sa branche
lyonnaise et se met à l'affût d'un bar. Son choix s'arrête sur le Café du
centre à la queue de cochon dont il raffole du zinc à la cloison en dalles
de Saint Just colorées. Petite certes, mais la cible est postée à côté d'une
librairie vouée à disparaître tôt ou tard. C'est son père qui déniche son
décorateur. Budget trois cent kopeks, Raymond Morel s'adapte, met tout le
monde au turbin, Fabien peint les chaises en doré, les murs s'habillent de
sémillantes rayures, le tout nouveau Comptoir de la Bourse égaye
l'environnement « city lyonnaise » de sa déco baroque Lacroix époque rose-orange.
Fabien démarre seul derrière le bar à cocktail déjà côté auprès d'une certaine
clientèle branchouille. Puis embauche un, deux, trois garçons, toujours des
pointures issues de belles maisons. La formation, ça a du bon. Ce qui devait
arriver, arrive ; l'heure du glas sonne pour la librairie attenante. Dans le
langage « Tontons Flingeurs », Fabien gloutonne, absorbe, fusionne ! Et appelle
à la rescousse Donatella Piana pour l'architecture et Raymond Morel à la
décoration. Le grand Comptoir de la Bourse annonce l'ère du nouveau
lounging, moins d'épure, plus baroque contemporain, multiplie les différences
d'assises et la station debout forcée étant donné le succès ! Côté vivres,
Olivier Determe, aussi jeune que créatif, renouvelle un « play-food » tout
de fraîcheur distillé dans de fantaisistes contenants, la souri d'agneau dans un
aquarium ! Le soir Olivier Gaugey, meilleur jeune barman de France 2003
reprend la main à la tête de la carte de drinks la plus enlevée de la ville.
Voilà l'esprit Chalard, rigueur, exigence, recrutement au cordeau pour proposer
in fine, le fin du fin.
Dans la foulée, il a gobé le Bar d'en face qui, dès
20 heures, brille sous les lasers. Déco pure Morel cette fois dressant un
habillage noir et blanc dépourvu de froideur grâce à une profusion d'idées
lumineuses, colonnes drapées de fibres optiques ou encore ces vers lumineux au
bout de cornes de silicone avec lesquels on adore jouer. Aux manettes, Pierre
Bergoen, fidèle parmi les fidèles dans le staff Chalard, à la tête d'une
carte de drinks « over déjanted » avec spermatozoïdes en plastique en guise de
gobelets plébiscités par une bande de jeunes gens d'ores et déjà aficionados.
S'il déclare, « aujourd'hui je ne regrette pas mon choix, je me sens bien à
Lyon. Je sais pourquoi je me lève le matin car c'est une chance inouïe que
d'être à son compte ». En revanche, il file régulièrement rejoindre ce « Paris
où j'ai tout appris », se ressourcer, retrouver ses amis avec toujours un
membre de son équipe sous le bras « pour qu'il découvre les lieux que j'aime
et la façon dont j'ai envie de travailler ». Dans le même esprit, le jeune
chef sera expédié en formation au mois d'août dans un établissement new-yorkais.
À l'instar de tous ces gens qui se démènent pour innover, il dit : « Je
critique sans arrêt Lyon, que j'aime en définitive sinon je ne serai pas là ».
Dans l'immédiat la bougeotte le tenaille, il élague les tentatives
d'association, mais ne résiste pas à l'envie de passer à autre chose. Trois
sites en repérages très avancés avec la certitude de voir éclore dans l'hiver un
lieu hors norme, un petit club intimiste ultra-sélect ce qu'il appelle de fort
jolie manière « L'élixir de l'élixir ». En attendant, le jeune homme
charismatique à l'accent paternaliste ne craint pas d'affirmer qu'il peut être
dur, « pour nous, pour la qualité de notre prestation ». Fiorel de
l'Icéo reste d'un excellent conseil, il fréquente Caro, Manoa,
Luca du Sapori, Ansanay, Marguin... « des gens plus ou moins
jeunes qui comptent pour moi ». Reste qu'au-dedans, Fabien est un ultra
sensible d'où cette quête du toujours plus que bien et la savoureuse envie de
trouver chaussure à son pied.
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